lundi 10 octobre 2011

Le deuxième concert part 4 ou "Du rôle joué par le lampadaire dans la stratégie séductionnelle"

Je passai deux ans à peaufiner dans la pénombre de ma chambre (c’est juste pour le style : j’avais un halogène comme tout le monde) mon art de songwriter. Je composai notamment une magnifique chanson en l’honneur du lampadaire qui brillait sur les bords de la nationale visible de ma fenêtre. Ça commençait par « There’s a light in my street ». Merde une rime en « eet ». Finalement, je m’en tirai avec « There’s a light in my street/sometimes that’s where we meet ». Ouais pas ouf. Mais bon on s’en foutait, de toute façon personne ne cherchait à comprendre les paroles du moment que ça rimait et qu’elles étaient chantées avec un minimum de conviction. J’enregistrai la rythmique et le chant puis plaçai par dessus un solo ressemblant étrangement à celui de « Stairway to Heaven » appris quelques semaines auparavant.
Le lendemain, je commençai les cours à dix heures. Dans le bus 171 qui m’emmenait à un rythme de gastéropode sur les lieux du crime, j’écoutai en boucle ma chanson et j’avais réellement l’impression d’être un miracle de l’évolution, une sorte de croisement parfait entre Paul McCartney (pour l’inventivité mélodique) et Phil Spector (la qualité de la production). Une fois devant la classe, je rencontrai cette fille, Sabrina, sur laquelle j’avais des vues inavouables. Comme elle ne se décidait pas à me demander ce que j’écoutais, je hochai la tête ostensiblement en simulant un intense plaisir auditif. Au bout de longues minutes, elle finit par me poser la question tant attendue :
-T’écoutes quoi ?
-Rien de spécial », fis-je. Je remarquai qu’elle allait changer de sujet aussi ajoutai-je précipitamment « Juste un truc que j’ai enregistré »
-Une chanson tu veux dire ? », me demanda-t-elle, soupçonneuse.
-Ouais, une chanson », répondis-je avec détachement.
-Je peux écouter ? »
« Enfin ! » me dis-je.
-Je sais pas. C’est pas complètement fini », minaudai-je.
-Allez, sois sympa », insista-t-elle, tombant dans le piège que je lui avais vicieusement tendu.
Sabrina et moi ça avait mal commencé. Ça faisait trois mois que je lui tournai autour et lors d’une soirée, j’avais tenté le coup un peu pourri du « Ton père est un voleur : il a pris les étoiles dans le ciel pour les mettre dans tes yeux ».
-Ton père est un voleur…
-Ah ouais ? Bah ta mère c’est une pute !, me cria-t-elle avant de quitter la salle en faisant plein de bruit avec ses talons. Quand je la revis le lundi suivant, je lui expliquai ma maladresse et sa méprise. Elle crut au début que je me moquais d’elle puis finalement se rangea à mes arguments et sembla me pardonner.
Cette chanson constituait la première tentative de rapprochement depuis cet épisode malheureux. Mais au moment où elle inséra les écouteurs dans ses oreilles (pas grandes les oreilles mais petits les écouteurs), la cloche sonna pour signifier le début de notre cours d’anglais. Elle me dit alors en me tendant le walkman :
-J’écouterai après.
Il me fallait la jouer serrée. Si je la laissais filer maintenant, il y avait peu de chances 1) qu’elle écoute ma chanson, 2) qu’elle tombe amoureuse de moi, 3) que nous ouvrions un jour un compte commun. Aussi lui rendis-je le walkman ;
-Garde le, t’auras qu’à l’écouter en cours.
-En cours ? C’est chaud quand même.
Je tentai de la convaincre qu’au contraire, il n’y avait rien de plus froid : il suffisait d’écouter avec un seul écouteur tout en dissimulant ce dernier derrière une main judicieusement placée. Elle me regarda l’air de se demander si je me foutais de sa gueule, décida que non puis, après avoir hésité un bon moment, mit le walkman dans la poche de son blouson et entra en classe.

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