jeudi 22 décembre 2011

Le Gambetta ou la Flèche d'or du pauvre

-Pas le samedi mec !
-Pourquoi pas le samedi ?
-Bah la veille, c’est vendredi !
-Jusqu’à là je te suis.
-Bah le vendredi, c’est la fin de la semaine !
-Ok…
-Du coup, faut fêter ça !
D’accord, donc le samedi non, le dimanche non plus et personnellement je ne me voyais pas répéter cinq heures après le taf un jour de semaine. Dans un élan d’amour inédit, j’acceptais de déplacer la répète à 15h, toujours le dimanche, c’est mon dernier mot Jean-Pierre.
Assez vite, il fallut bien s’avouer que nous n’étions pas entièrement sur la même longueur d’onde au sein du groupe. Connement nous étions quatre. Or quatre, c’est deux fois deux. Ce que je veux dire par là, c’est que deux camps s’opposaient et comme ils comptaient le même nombre de personnes, immobilisme, perte de temps et frustration s’ensuivaient. Deux gangs s’opposaient au sein de Folks comme les Crips et les Bloods à Los Angeles. Le premier constitué de Baptiste et d’Adrien était partisan d’une idéologie privilégiant le groove, la vibe et autre feeling sur l’exactitude. Le second regroupant Rodolphe et moi était adepte d’une conception de la précision qui parfois, avouons le, confinait à la rigidité. Cette opposition aurait pu, par un mouvement dialectique, déboucher sur une musique qualitativement supérieure à la somme de ses parties. Mais non. Nous nous observions les uns les autres aux quatre coins du studio, le poteau au milieu, comme quatre survivants enfermés depuis trop longtemps dans une même pièce cherchant à deviner le moment propice pour dévorer l’autre. Bon j’exagère, mais il y avait du gravier dans les roulements.
Toutefois, nous parvînmes malgré nos dissensions à mettre au point suffisamment de chansons pour donner des concerts. Nous jouâmes dans des endroits possédant des noms brillant d’originalité comme le « Café de Paris », le « café de la plage » ou « La choppe ». Un jour, notre manager de l’époque, Matthieu, un bon ami, nous trouva une date au Gambetta, rue de Bagnolet. Le jour J, je me pointai, comme à mon habitude, un peu en avance et découvris un endroit de taille plus que respectable. Revigoré par la perspective de jouer dans une salle enfin digne de ce nom, je vérifiai par acquis de conscience l’adresse que j’avais notée sur un post-it en regardant sur Mappy. Ah merde, c’était pas ça. En regardant mieux, il s’avérait que j’étais devant la Flèche d’or. Le Gambetta c’était juste à côté. Je réalisai une translation de quelques mètres, passant en trente secondes de Beverly Hills au Queens. Le Gambetta, certains disent que c’est un poème. Je dis ok mais alors un poème écrit par un dyslexique atteint de la maladie de Parkinson. Pour le dire gentiment, c’est le genre d’endroit à être construit sur un cimetière indien : des canapés défoncés, des chiottes sur la porte desquelles une feuille barrée d’un « Or service » est punaisée, et un patron au regard luciférien.
-C’est pour quoi, », me demanda-t-il comme s’il me soupçonnait de vouloir connaître sa mère bibliquement.
-C’est pour jouer. Je fais partie du groupe.
-Quel groupe ?

...And French Songs for all

La collecte de fonds pour l'enregistrement du prochain EP de Folks, French songs, est lancée. Pour citer Georgie B "ce n'était rien/que quelques euros/mais ça avait/payé l'studio".
Tout ça pour dire que vous avez la main, vous êtes le boss,le parrain, le grand manitou, le grand sachem, ...bon vous avez compris l'idée.
Ca se passe ici!
La bise,
François.

mardi 20 décembre 2011

Master of pépettes

Un petit message pour vous informer que dès demain commence la collecte de fonds pour mon nouvel EP (en français) sur le site de Microcultures. Florent Pagny écrit « Savoir aimer/sans rien attendre en retour/ Ni égard ni grand amour » : et bien nous c’est le contraire, aussi vous recevrez en fonction de ce que vous donnerez (pour tel prix les titres en Mp3, pour tel autre l’intégralité du catalogue Folks en physique etc.). Voilà, Prêts ? Ca se passera ici
La bise,
François.

lundi 19 décembre 2011

Répéter un dimanche : un défi olfactif

-Quand ça ?, demanda Adrien, intrigué.
-Tu sais à l’anniversaire de Pedro…
-De Pedr…de Pierre tu veux dire ?
-Voilà.
-Putain, j’étais complètement bourré, j’ai dû chanter un couplet de No woman no cry et c’est tout.
-Bah, j’étais bourré aussi, mais il m’avait semblé que ça sonnait bien. » Il se mit à fredonner ce qui ressemblait vaguement aux premières paroles de la chanson : « When aïe ouimender, when oui used to fit ».
-Apparemment, tu peux chanter aussi », dis-je à Baptiste.
-Moi ? Non, non », se défendit-il. « En plus, j’arrive pas à jouer quand je chante : c’est fromage ou dessert.
-Fromage ou…
-Soit l’un soit l’autre quoi.
-Ah ok. Bon les mecs, je vais pas vous forcer à chanter. Juste, je trouve que c’est un peu con. Ca sonnerait bien parfois d’avoir d’autres lignes de voix, même des trucs pas compliqués.
Adrien et Baptiste baissèrent ostensiblement la tête. Visiblement, ça n’était pas la peine d’insister. Je proposais alors de rejouer la chanson. C’était la troisième fois que nous répétions le morceau et je remarquai qu’Adrien ne cessait de faire varier sa partie. Toutefois je ne m’inquiétai pas, mettant cela sur le compte d’un certain perfectionnisme. Finalement, nous passâmes à d’autres titres puis le voyant lumineux marqua la fin des réjouissances. Il était l’heure de se retirer. Lorsque nous laissâmes le groupe suivant entrer, l’un des musiciens fronça les narines et se permit un commentaire :
-Putain ça flaire ? Vous avez fait du poney ou quoi ?
Je m’apprêtai à lui expliquer que l’odeur était dû à une paire d’adolescents bourrés aux hormones lorsque je remarquai qu’il portait un tee-shirt du groupe Toto, aussi ne m’abaissai-je pas à me justifier.
-Bon bah c’est con que tu chantes pas mais pour ce qui est de la guitare, ça le fait », dis-je à Adrien, une fois que nous fûmes tous sortis du studio. Nous étions en train de nous fumer une cigarette dans l’atmosphère bruineuse et vespérale. « T’en dis quoi Rodolphe ?
-Bah ouais je suis d’accord. Faut juste qu’on s’entende sur les parties quoi, mais sinon, ça va le faire.
-Et toi, ça t’intéresse toujours ? », demandai-je à Adrien.
-Ouais », fit-il faisant montre d’une motivation qui faisait plaisir à voir.
-Cool. Bah on répète la semaine prochaine alors ?
Tout le monde acquiesça. Folks était un quatuor.
On s’était fixé un peu naïvement comme règle de répéter deux fois par semaine : une en semaine de deux heures (le mardi je crois) et une le dimanche de cinq heures. Cinq heures de répète : rien que de l’écrire ça me fait saigner les oreilles. C’était pas qu’on faisait du Pantera mais, parfois on s’énervait un peu. En plus jouer le dimanche, ça n’était vraisemblablement pas une riche idée. Moi ça ne me posait pas spécialement de problème vu que les soirs de week-end, je me regardais la rediffusion d’un épisode de « Faut pas rêver » avant de me coucher vers onze heures. Pour les autres la chose était plus difficile. D’après ce que je devinais à demi mot, leurs samedis soirs auraient fait passer les ferias de Pamplune pour un apéro entre quinquagénaires narcoleptiques. Du coup, se retrouver à 14h tous les dimanches en état de fonctionnement, ça leur posait visiblement problème. Vu l’odeur d’alcool qu’ils exsudaient, on aurait dit que le studio avait obtenu sa Licence IV. Je proposais de remplacer la répète du dimanche par celle du samedi mais je ne réussis qu’à susciter l’indignation.

mercredi 14 décembre 2011

Lorenzo Lamas: le rebelle entre en action

Ouais ? » fit le gars de l’accueil, un téléphone calé entre l’épaule et l’oreille.
-Euh…moi ? Euh…c’est pour un studio…
-Ouais, jme doute bien que c’est pas pour une grande frite et un coca » On sentait que celle-là, elle lui avait servi plus d’une fois. « Nom ?
-Mon nom ? euh Folks…enfin le nom du groupe c’est Folks.
-Original », commenta-t-il en tapotant sur le clavier de son ordinateur. « Studio C, au fond du couloir sur la gauche. Les mecs d’avant vont sortir dans cinq minutes.
J’éprouvais une furieuse envie de ne pas dire merci car je suis complètement dingo, mais mon éducation prit le dessus. Bien sûr, il ne répondit pas et c’est légèrement courroucé que je me rendis devant la porte du studio C.
Le tiercé dans l’ordre : Rodolphe, Baptiste et bon dernier Adrien. Résultat, on attendait comme des cons tous les quatre que les mecs occupant le studio daignent obtempérer au signal rouge qui clignotait dans le studio indiquant que la répétition était terminée.
-Putain mais qu’est-ce qu’ils foutent ? » Je trouvai l’interrogation de Rodolphe tout à fait légitime et visiblement Baptiste également puisqu’il s’avança et donna un grand coup de pompe dans la porte.
-Putain t’es un rebelle ! », fis-je. « Lorenzo Lamas style quoi !
-Hein ?
-Lorenzo Lamas quoi ! Le rebelle ! Tu connais pas la série ?
Il s’apprêtait à m’indiquer que nous n’avions visiblement pas les mêmes occupations en périodes extrascolaires lorsque la porte du studio C s’ouvrit, découvrant à nos yeux indifférents deux mecs qui ne devaient pas avoir plus de vingt ans. L’un portait un étui de guitare, l’autre des baguettes de batterie, et tous deux étaient visiblement essoufflés avec des taches rouges sur les joues, genre je viens de faire un biathlon par moins quinze.
-Excusez-nous pour le retard », dit l’un d’entre eux. « On a pas vu le signal.
Mon cul : lorsque le voyant s’allumait, on avait l’impression d’être dans un film d’action au moment où la base sous-marine s’apprête à exploser. Pas moyen de le rater quoi. Seulement, ces mecs avaient l’air un peu spéciaux, pour faire dans l’euphémisme, aussi réfrénai-je la tentation de leur conseiller de s’insérer des objets contendants dans l’orifice de leur choix.
Nous entrâmes et immédiatement nous fûmes assaillis par une odeur de vestiaire à peine quittée par une équipe de rugby de division d’honneur. Ca fouettait grave.
-Putain mais ils ont joué au squash ou quoi ? » fit Baptiste.
Du coup on fut obligé de laisser la porte ouverte un moment pour aérer. Lorsque ce fut fait ou que nous nous fûmes accoutumés à l’odeur, nous discutâmes un peu pour savoir comment procéder.
-Bah j’ai écouté un peu des enregistrements de vos répètes que m’a filé Baptiste », nous expliqua Adrien. « Du coup j’ai bossé sur une chanson.
-Ah ouais ? T’as bossé laquelle ?
-Je sais pas comment elle s’appelle.
-La nouvelle » fit Baptiste à la place de son ami
-La dernière nouvelle ou l’ancienne ?
-La dernière.
-Ok, bah on peut essayer, carrément.
Ce que nous fîmes. Et je suis bien obligé d’admettre que je fus relativement impressionné par le jeu d’Adrien. Ca n’était pas le genre à se lancer dans des solos de tapping ou à gratter les cordes avec les dents. Il jouait peu mais bien.
-Cool ! » fis-je, à la fin de la chanson. « C’était bien !
-Merci.
-Et tu pourrais faire des chœurs aussi ?
-Euh…des chœurs ? Sur cette chanson ?
-Bah ouais ! Sur le refrain, ça le ferait !
-Euh…ouais…, fit-il sans paraître convaincu.
On se remit à jouer et une fois parvenu au refrain, je jetais un coup d’œil à Adrien qui, voyant que je l’observais se rapprocha du deuxième micro et ouvrit la bouche. Mais rien n’en sortit. On déroula le morceau mais à la fin, je ne pus m’empêcher de demander quel était le problème.
-Bah disons qu’en fait le chant, c’est pas trop moins point fort non plus.
-C’est pas ton point fort ? Genre tu chantes pas du tout ?
-Bah…euh…non…
Je me retournai vers Baptiste. Qui leva les mains en signe d’impuissance.
-Première nouvelle mec ! J’étais pourtant persuadé de l’avoir entendu chanter une fois.

lundi 12 décembre 2011

Toto Vs Trust: le choc des titans

-Euh, ze same but euh… black and white ?
Il me regarda comme si je commençais légèrement à le faire chier, me reprit la rouge, se retira puis revint avec l’objet tant convoité. Il me brancha. Je jouai. J’achetai.
-Et la douane ? Tu vas payer la douane ? », me demanda Armelle. Non je n’allais pas payer la douane, sinon aucun intérêt d’aller s’acheter une guitare à New York, chez Manny’s, entre la 6ème et la 7ème Avenue. Je me fis alors la réflexion qu’on risquait moins de me faire chier si la flight case (la housse rigide de la guitare pour les incultes) avait l’air d’avoir vécu, comme si je traînais avec moi l’instrument depuis dix ans. Je passai alors une bonne heure à m’acharner dessus en grattant le simili cuir à l’aide d’un cutter, en foutant des coups de pieds dedans et en collant dessus les stickers les plus improbables.
Au moment de passer à la douane je me sentais comme une mule bolivienne avec une dizaine de sachet de coke dans l’estomac : j’allais me faire choper, c’était sûr et alors, adieu la guitare de chez Manny’s…Les douaniers ne m’accordèrent pas le soupçon d’un regard qui aurait pu justifier mon angoisse de l’heure qui venait de s’écouler. Je passai la douane américaine puis la douane française sans le moindre encombre. Une fois arrivé chez moi, j’ouvrai la flight case à moitié défoncée et contemplai Excalibur (le petit nom que j’avais donné à « mon précieux »). Elle avait fière allure ma guitare. Je m’en saisis, ajustant la sangle motif fil de fer barbelé sur mon épaule et me lançait dans un solo assez énorme en pentatonique de la. Bon, sans ampli ça le faisait un peu moins, c’est sûr. Mais elle était quand même super belle. Je la replaçai dans son fourreau et l’y oubliai les six mois qui suivirent dans un coin de mon appart. J’avais tout bonnement oublié chez Manny’s que je jouais de la guitare acoustique pas de l’électrique.
-Je peux te prêter ma Telecaster si tu veux », proposai-je donc dans ma grande mansuétude à Adrien.
-T’as une Telecaster ? », fit-il avec pour la première fois des étoiles dans les yeux et de la vie dans la voix.
-Bah ouais. Je l’ai acheté chez Manny’s, entre la sixiè…
-Ah bah je veux bien, carrément ! » J’ai cru qu’en plus de m’interrompre, il allait jouir.
Nous convînmes donc de répéter à Studios Bleu rue des petites écuries, métro château d’eau un jour de la semaine suivante, notre studio habituel étant exceptionnellement fermé. Le jour T, je m’apprêtai à partir de chez moi lorsque je pris conscience que j’étais une grosse brêle : j’avais oublié qu’en plus de la Telecaster qui pesait le poids d’un âne obèse séquestré dans une flight case, je devais également me cogner mon électro acoustique. Déjà la ligne quatre à 14h avec rien d’autre en poche qu’une carte de transport c’est une expérience charmante remettant en cause les lois les plus élémentaires de l’hygiène et de la spatialité, mais avec deux guitares à l’heure de pointe, c’était carrément la version trash du Camel Trophy. Finalement, lorsque je parvins à m’extraire du monstre de fer, à la station idoine, j’étais trempé de sueur, les cheveux en bataille et les vêtements froissés. Je me trainai lamentablement jusqu’aux studios où je sonnai un bon moment avant que quelqu’un ne me réponde. Dans le hall, un maître chien avec son doberman. Le gars était assis sur une chaise et le doberman était éclaté sur le sol, à côté de lui, l’œil vitreux et la bave à la gueule, genre bête du Gévaudan version 10ème arrondissement. Je grimpai les escaliers un à un poussai la lourde porte d’entrée et pénétrai dans les locaux de Blue studio. Il y avait pas mal de monde devant l’accueil, du coup je pris mon mal en patience en observant les lieux : des pupitres, des pieds de micro, des murs blancs insonorisés avec des photos d’artistes censément connus (lui ? connais pas. Lui ? connais pas non plus. Lui ? Il jouait pas dans Trust ?). Mon tour arriva finalement.

jeudi 8 décembre 2011

Mark knopfler is back, he's angry, he wants his revenge!

L’autre événement de la soirée fut donc la prise de contact avec Adrien. C’est complètement con mais moi je l’associais dans ma tête au Pérou et je m’étais presque attendu à ce qu’il porte un gros bonnet en poil de lama et se trimballe toujours avec une flute de pan à jouer El condor pasa. Bah pas du tout en fait, il était habillé comme moi. Ok, un peu mieux. Au début, je ne savais pas trop quoi penser de lui vu qu’il était assez laconique.
-Salut !
-‘lut.
-Adrien, c’est ça ?
-Ouais.
-François. T’étais au Pérou alors ?
-Ouais. »
Bon visiblement, il n’était pas disposé à me montrer des diapos de l’endroit, aussi allai-je droit au but.
-Et alors tu joues de la guitare ?
-Ouais. » Putain, si j’avais eu un secret je l’aurais confié à ce mec. Je commençai à me demander s’il était bloqué sur repeat lorsqu’il développa : « Electrique. De la guitare électrique.
-C’est cool ça ! Baptiste m’a dit que tu chantais aussi » dis-je en me tournant vers notre connaissance commune qui assistait à la conversation. Adrien aussi le regarda l’air étonne, puis répondit en baissant légèrement les yeux :
-ouais, euh, un peu quoi…
-Parfait ! Peut-être qu’on pourrait essayer de répéter ensemble genre la semaine prochaine.
-Ouais » fit-il avec un enthousiasme proche de celui d’un éboueur à l’idée d’une nouvelle journée de travail. Je m’apprêtais à me retirer de ce groupe de parole pour en rejoindre un autre où je n’aurais pas l’impression d’être un agent de la gestapo lors d’un interrogatoire quand Adrien, à ma grande surprise, manifesta l’intention d’ajouter quelques mots.
-Par contre, j’en ai pas.
-T’en as pas ? Merde c’est con ça. Et de quoi dont ?
-Bah de guitare électrique.
Ok. J’étais donc en présence d’un guitariste électrique sans guitare électrique. Heureusement pour lui, j’avais ce qu’il lui fallait : une telecaster noire et blanche ramenée à mes risques et périls de New York. Invité à passé une dizaine de jour dans la grosse golden par mon amie Armelle qui y faisait son stage de fin d’étude, je m’étais rendu vers la fin de mon séjour chez Manny’s, un magasin de guitare situé entre la 6ème et la 7ème avenue à Manhattan. Accrochées au moindre centimètre de mur de la boutiques, des photos autographiées de toutes les stars passées s’approvisionner au magasin, de Jimi Hendrix à John Lennon en passant par Keith Richards, Kurt Cobain et…mais oui…Mark Knopfler. J’avais les yeux plein d’étoiles quand un vendeur m’avisa.
-Lookin’ for a guitar ? » Putain ce mec était fort. Comment avait-il bien pu deviner cela ?
-Yes », fis-je avec idiomatisme. Je tentai de construire une phrase correcte mais incapable d’obtenir de sa part le moindre signe de compréhension de la part de l’autochtone je me bornai à répéter en boucle « Telecaster, Telecaster, Telecaster », un peu comme Dustin Hoffman dans Rainman marmonnant « 82, 82, 82 » devant les cure-dents tombés sur le sol du resto. J’étais en effet venu à New York avec la ferme intention d’en repartir muni d’une telecaster noire et blanche comme celle utilisée en concert par Frank Black. Au bout d’un moment il s’exclama d’une manière un peu irritante « Ah yeah !!! a TELECASTER !!! » comme s’il venait de comprendre une bonne blague. Il me fit signe de le suivre, puis de m’asseoir sur un petit tabouret et me mis une Telecaster dans les mains. Elle était rouge.

mardi 6 décembre 2011

Omar Sharif Vs Freddy Mercury

Six mois s’écoulèrent. Nous abordions aux rivages de l’été lorsque Baptiste revint.
-Tiens c’est pour toi », me dit-il en me tendant une flute bordeaux sur lequel étaient gravés des motifs que je subodorais aztèques. Ca me toucha beaucoup : comme disait le moustachu, « ce n’était rien qu’un bout de bois » mais bon, dans mon cœur il faisait froid. Il ne rapporta pas uniquement des instruments à vent du pays des Mayas. Dans ses bagages, il avait également ramené Adrien, le fameux pote péruvien qui habitait dans le cinquième. Baptiste nous parla de son ami peu après être rentré, alors qu’on se morfondait en se disant qu’on aimerait bien recruter un second guitariste, capable aussi d’assurer des chœurs.
-Faudrait que vous le rencontriez », nous dit-il « Il joue vachement bien.
-Ah ouais ?
-Ouais.
-Et il chante aussi ? » c’était important pour nous.
-Euh…ouais ouais, il chante.
La première fois qu’on le rencontra c’était lors d’un concert que nous donnâmes aux Caves Le Chapelais dans le cadre d’un festival de quartier où nous avait programmés une amie.
-Bon normalement, c’est plutôt un endroit pour des soirées goth » nous avait-elle prévenus.
Dans ma tête peuplée de multiples voix, j’avais un peu mélangé goth et sado-maso, allez savoir pourquoi. Du coup, je fus un peu déçu dans mes attentes lorsque je constatai en arrivant sur place que les habitués ne se promenaient pas en laisse les uns les autres avec une boule dans la bouche. Pas une seule poulie, pas l’ombre d’un crochet de boucher, non une simple cave assez spacieuse avec une scène dans le fond. Le concert se passa plutôt bien, le public étant plus nourri que d’habitude. Seule ombre au tableau : le Vjay. On m’avait expliqué un peu avant de jouer ce que c’était : un mec qui allait passer des images censées être en accord avec notre musique pendant le concert. Bon aucune idée des motivations profondes du gars en question, mais toujours est-il qu’il passa en boucle des images de chevaux en pleine course, visiblement tirées du tiercé de France 2. J’allais le voir à la fin pour tenter d’obtenir une explication.
-Bah on m’avait dit que vos morceaux avaient un côté hippique.
-« Hippique » ?
-Bah ouais, tiens c’est Jérôme qui m’a dit ça : Jérôme viens là deux secondes…
Jérôme voulait visiblement avoir l’air pressé et nous le fit bien comprendre en refusant de s’arrêter dans sa course, préférant se contenter d’un simple ralentissement.
-Ouais quoi ? », dit-il en passant près de nous.
-Pas vrai que tu m’as dit que leur musique avait un côté hippique ? Nan ?
Là le Jérôme s’arrêta, vraisemblablement décontenancé.
-« Epique » mec, c’est « épique » que j’ai dit.
Silence.
-Ah merde. « Epique ». Putain j’avais compris « hippique ».
Tout s’expliquait. Le Vjay avait été livré sans disque dur. Soit dit en passant, je ne voyais pas trop ce que notre musique avait d’épique : pour moi épique c’est la chevauchée des walkyries, Freddie Mercury en train de chanter que le spectacle doit continuer, mais pas moi fredonnant de ma voix de fausset que, ouh ! c’est chaud ! je me rapproche du soleil.

dimanche 4 décembre 2011

Apprentissage de l'échec : retraite au Pérou

Tout ça pour dire qu’on avait commencé à jouer avec Baptiste lorsqu’on décida de participer au concours des Inrocks. Aussi, même s’il n’avait pas à proprement parler joué sur la version d’I’ve been near the sun qu’on avait soumis au magazine, nous lui demandâmes de prendre la photo avec nous. Genre team building quoi.
Du coup on était trois autour du clebs ce jour là, plus Nico qui prenait la photo. Comme je l’ai déjà dit Rodolphe était devant Balou, moi derrière et Baptiste venait en dernier. On tenta de se mettre en position et de calmer le chien qui tirait sur sa laisse comme un malade pour aller renifler une flaque de pisse. C’est à ce moment que Rodolphe posa une question cruciale.
-Vous êtes sûr qu’ils marchaient dans ce sens là,
-Hein ?
-Je me demande juste s’ils allaient bien de droite à gauche sur la pochette.
Là j’étais pris de court : je n’avais pas pensé à ça. C’est vrai d’abord : dans quel sens ils allaient ? Comme aucun d’entre nous n’était sûr à 100 % de la réponse, on envoya Nico regarder sur internet. Il revint dix minutes plus tard.
-Problème de modem désolé.
-Alors ?
-De gauche à droite. Par contre, on a oublié, y a McCartney qu’est pieds nus.
-Bah le chien aussi il est pieds nus donc ça le fait
Seulement nouveau problème, on devait faire comme si on marchait vraiment. Or Balou, lui ne voulait plus avancer l’enfoiré. Visiblement toute forme d’énergie avait déserté son corps de labrador jaune, et il demeurait aussi immobile qu’une statue de chien. Du coup, question rendu c’était pas vraiment optimal : Rodolphe, Baptiste et moi marchions alors que Balou était très visiblement à l’arrêt. En désespoir de cause, nous jetâmes notre dévolu sur une photo un peu plus marrante que les autres où on voit Rodolphe avancer d’un pas martial tandis que Baptiste et moi tentons de faire avancer la bête.
Nous accompagnâmes la photo d’une courte présentation que les Inrocks avaient également réclamée. Nous avions opté pour l’humour, mais en relisant la chose, je me dis que nous aurions peut-être mieux fait d’éviter car très franchement soit nous faisions preuve d’une ironie que nous étions seuls à comprendre, soit nous avions le potentiel comique de Roland Magdane.
Mettons tout de suite fin à un suspense insoutenable : nous échouâmes aux portes de la gloire. En effet, si notre titre figura bien sur la compil des Inrocks, le grand gagnant du concours désigné par les lecteurs du magazine fut un certain Spleen. Nous n’étions même pas seconds (cette place revint à Stuck in the sound). Pour tout dire nous ne sûmes jamais vraiment où nous étions arrivés dans le classement. Nous fûmes quelque peu déçus mais, sportifs, nous acceptâmes la sentence. Après tout, ça n’était déjà pas si mal d’avoir figuré sur la compil. Qui sait, peut-être que quelqu’un dans une maison de disque allait nous repérer. Le tout c’était d’être prêt. C’est le moment que choisit Baptiste pour nous annoncer qu’il partait six mois en Amérique du Sud. Mes souvenirs, encore une fois, ne sont plus ce qu’ils étaient mais il me semble qu’il y avait « Pérou » dans la phrase.
-Putain mais qu’est-ce que tu vas foutre au Pérou ?
-Bah y a un pote qu’est là-bas, c’est l’occasion quoi…
Nous n’en revenions tout simplement pas. Le téléphone allait sonner, les propositions de concerts s’apprêtaient à déferler et le rat quittait le navire ! Nous tentâmes avec subtilité de lui suggérer de déplacer son voyage.
-Putain joue pas ta pute ! T’iras plus tard à Bogotta !
-Lima, mec, Lima.
-On s’en branle, on n’est pas à questions pour un champion !
Nous eûmes beau déployer des trésors de diplomatie, il demeura inflexible tel le roseau. De janvier à fin juin, Folks était de nouveau réduit au triste état de duo acoustique.

mercredi 30 novembre 2011

Manger un rôti en écoutant du Marc Knopfler

A cette époque, je réalisais un stage de fin d’étude dans une major du disque. J’étais au service promo d’un des labels d’U…al Ca consistait surtout à boire des cafés, fumer des clopes et mettre sous enveloppes des disques à destination des journalistes de France et de Navarro. Un jour, un grand type tout fin débarque dans mon bureau (bon ok, dans le bureau où j’occupais un tabouret, dans un coin).
-Salut mec ! Paraît que le nouveau Salif Keïta est sorti chez vous ?
Bon l’un des rôles d’un stagiaire promo, c’est de veiller sur l’armoire aux cds, bref de dissuader le plus efficacement possible les parasites de tenter de s’emparer gratuitement d’un exemplaire des productions discographiques du label. Mais ce mec avait l’air cool : il avait un tee-shirt de John Coltrane vachement beau. Après une courte hésitation, je lui lâchais le disque en question, l’album Moffou qu’est pas piqué des vers. De fil en aiguille, on s’est retrouvé à parler musique. On n’avait clairement pas les mêmes références : de son côté, c’était plus Fela que Kurt Cobain. Ou pour être plus exact, plus Tony Allen que Dave Grohl, car j’apprenais au fil de la conversation que Baptiste (tel était son nom) était batteur. L’information ne tomba pas dans l’oreille d’une personne auditivement déficitaire. Je décidai de la jouer tout en finesse. Surtout, ne pas l’effrayer.
-Et tu voudrais pas jouer dans mon groupe ?
Je le vis hésiter. Merde, j’étais allé trop vite en besogne.
-Bah chais pas faudrait que j’écoute ce que vous faites.
Aussitôt dit aussitôt fait je me précipitai vers la chaîne hifi qui trônait sur l’armoire à CD et y enfournai la dernière version en date d’Ive been near the sun sur laquelle Rodolphe avait recommencé à bosser. Pendant que Baptiste écoutait la chanson, je le regardai les yeux emplis d’espoir, tentant de deviner dans les micro-expressions de son visage la teneur du verdict à venir. La musique s’arrêta.
-Ouais franchement c’est sympa », lâcha-t-il enfin. « Sympa » généralement, ça fait partie des expressions qui, pour moi, sont rédhibitoires. Quand on écrit une chanson, on a envie de susciter une réaction à la hauteur de son enthousiasme. Pas « c’est sympa », « c’est pas mal » ou autre « c’est frais ».
Bref tout ça pour dire que normalement, j’aurais dû être courroucé par la réaction de Baptiste et inscrire son nom dans un petit carnet noir, mais étrangement, il n’en fut rien. Dans sa bouche, ça ne sonnait pas si mal que ça, presque laudatif, en tout cas pas comme s’il voulait dire « en musique d’ambiance pendant que je mange un rôti entre amis je mettrai bien ta chanson ».
Du coup, on s’est mis à jouer ensemble. Il avait un plan pour louer un studio à des prix imbattables dans un bâtiment universitaire. Les locaux étaient flambant neufs et tout aurait été parfait sans la présence d’un poteau placé judicieusement au milieu de la pièce. Autre inconvénient, la hauteur sous plafond qui rendait impossible de sauter au rythme de la grosse caisse comme les musiciens de Korn. Nous on s’en foutait, on jouait assis. Le mec qui faisait office de réceptionniste/technicien s’appelait Mickael ce qui ne l’empêchait pas d’être super sympa. Il parlait tout le temps de matos avec Rodolphe et Baptiste. Moi je hochais la tête à intervalles réguliers, en espérant qu’on ne me poserait pas trop de questions à la fin. Il était censé être bassiste aussi. Je dis censé parce qu’une fois j’arrivai un peu en avance au studio et, après l’avoir cherché un moment, je trouvai Mickael dans notre studio en train de s’exercer. Bah c’était pas joli joli. Déjà il slappait, faute de goût. En plus on avait l’impression que chacun de ses doigts menait sa propre vie sans qu’aucun principe directeur ne vienne unifier le tout. Bref c’était un vrai bordel. Je m’apprêtai à refermer la porte lorsqu’il me vit. Il posa vite fait la basse et on était tous les deux super gênés comme si je venais de le surprendre en train de chantonner sur un disque de Mark Knopfler.

lundi 28 novembre 2011

Le syndrome Griffin Dunne

-Bonjour Monsieur.
-Bonjour François ! », fit le père de Nico avec enthousiasme. Il m’aimait bien ce qui était généralement le cas des parents de mes amis qui me considéraient un peu comme l’équivalent du « gendre idéal » version camarade : j’étais poli, je n’avais pas l’air de me droguer et j’étais habillé comme un propriétaire terrien (j’avais même une montre à gousset que m’avait acheté mon père pour rigoler).
-Alors ? Abbey Road hein ? Pas vraiment votre époque ça ?
-Bah ouais mais bon c’est quand même bien quoi…
-Ah ça oui ! On peut même dire qu’on n'a pas fait grand chose de mieux depuis, non ?
-Euh, bah…
-Franchement, tu peux me donner le nom d’un seul bon groupe en activité ? », me demanda-t-il comme si j’étais personnellement responsable de la décadence artistique de notre époque.
-Quand même », tentai-je de m’opposer « y a Nirvana qu’était vraiment b…
-Nirvana ? Le drogué là ? Un bling deux blang !
J’eus de prime abord un peu de mal à comprendre l’expression. Ce qui m’aida à en saisir le sens, ce furent les gestes qui accompagnaient les paroles. Le père de Nico semblait en effet gratter les cordes d’une guitare : un bling deux blang c’était sa manière à lui de dire que la musique de Nirvana n’était pas très évoluée, comme si elle ne comptait que trois accords. Etant son hôte, j’optais pour la technique dite de la carpette et murmurait un « oui oui », comprenant ce qu’avait dû ressentir le président du conseil français lorsqu’il avait autorisé l’Allemagne hitlérienne à envahir la Tchécoslovaquie en 1938.
-bon, on s’y colle ? finit par dire Nico.
Meet Balou, labrador de 10 ans, 35 kilos, pelage jaune sable, hyperactif. Après un quart d’heure de lutte, nous parvînmes à lui mettre une laisse autour du cou. Nous sortîmes avec le monstre et nous nous dirigeâmes vers le passage piéton qui passait piétonnement à quelques mètres de la maison de Nico. L’idée c’était Rodolphe devant, Balou, moi ensuite puis Baptiste fermant la marche.
Arrivé à ce niveau du récit je me dis « merde : j’ai oublié de leur parler de Baptiste ! ». Le travail de mémoire est chose mystérieuse. En tout cas chez moi, c’est mystérieux, voire énigmatique. J’oublie des trucs essentiels genre mon adresse, mon numéro de carte bancaire, me laver. Par contre je suis capable de retrouver sans aucun problème le nom d’acteurs de films que je n’ai pas vus pour les avoir lus au détour d’un article. Ma copine appelle ça le syndrome « Griffin Dunne » depuis qu’un jour, j’ai retrouvé le nom de cet acteur qui jouait dans After Hours de Scorsese (jamais vu, paraît que c’est bien). Bon y a toujours un connard pour dire, le petit doigt en l’air et la bouche pincée, « Griffin Dunne ? Mais bien sûr je connais Griffin Dune ! » genre c’est Bruce Willis. Bref. Tout ça pour dire que j’ai oublié de parler d’un évènement essentiel : l’arrivée de Baptiste dans Folks.

mercredi 23 novembre 2011

Le chat le plus gros du monde

Ben nous regarda l’air de chercher une faille dans le raisonnement, mais il avait visiblement du mal.
-Pas con », fit-il finalement, s’avouant vaincu.
Ce ne fut pas une mince affaire, mais bon on ne transige pas avec la recherche scientifique, on était bien décidé à jeter une lumière crue sur cette aberration du règne animal.
-Bouge pas Gaetan putain !
Je mis un moment à comprendre que c’était le nom du chat.
-Tu déconnes ? Vous l’avez vraiment appelé comme ça ?!
-Bah ouais pourquoi ? T’as aussi quelque chose à dire là-dessus ?
-Non non rien » Je sentais son irritation aussi m’abstins-je de tout autre commentaire. Mais quand même. Gaetan !
Finalement, on réussit à maintenir le chat immobile suffisamment longtemps. Puis comme expliqué plus haut, pesage de Ben et soustraction. Nous n’en revînmes pas.
-15 kg !!!
-Putain mais appelle le Guiness mec !
On prit la chose très au sérieux : et si ce chat était tout simplement le plus gros chat du monde ? Du coup on tapota sur Internet.
-Nan, le record, c’est un chat qui s’appelait Jimmy et qui pesait 21,3 kg à sa mort.
-L’enculé ! » fit Rodolphe, admiratif.
On abandonna Ben en pleine observation de son chat l’air de se demander ce qu’il fallait lui donner à bouffer pour faire péter le score de Jimmy.
Nous nous retrouvions donc à notre point de départ, dépourvu d’idée et d’animal domestique. Finalement je téléphonais à mon pote Nico qui, je le savais, possédait un labrador de belle facture. Je lui expliquai le coup d’Abbey Road en lui demandant si son chien, moyennant croquettes, accepterait de jouer le rôle de Ringo.
-Aucun problème, passez quand vous voulez.
Nous le prîmes au mot et déboulâmes une heure après à la porte du petit pavillon que possédaient ses parents. Nous avions l’air de déranger et il nous le dit franchement.
-Bah t’avais dit quand on voulait ! », lui opposai-je.
-Putain mais c’est une convention !
-Une convention ?
-Bah ouais ! Comme quand on te demande si ça va. Tu vas pas répondre « Moyen ». Bon bah « quand tu veux » c’est pareil.
-Donc c’est « passe quand tu veux » mais pas vraiment en fait…
-Exact.
-Bon alors du coup on peut pas faire la photo si je comprends bien.
-Bah maintenant que vous êtes là…
Nous le remerciâmes chaudement. Il s’effaça pour nous laisser rentrer, ce que nous appréciâmes car ça caillait un peu.

dimanche 20 novembre 2011

Abbey Road : "du rapport entre obésité et crise d'angoisse chez le félidé"

J’informais Rodolphe de la nouvelle et nous fîmes youhou. Dans le mail, les mecs du magazine nous informaient qu’il fallait fournir un court texte de présentation et prendre une photo avec un animal. Un animal ?! Mais dans quel cerveau malade cette idée avait-elle germée ? Bon on n’avait pas vraiment le choix donc on commença à récurer nos méninges pour y découvrir un semblant d’idée. Tout à coup Rodolphe crût reconnaître l’une d’entre elles :
-On a qu’à faire une imitation de la photo d’Abbey Road avec un animal.
-Ah ouais, pas con. Quoi comme animal ?
On réfléchit un moment et une nouvelle fois, Rodolphe fut force de proposition.
-Je sais ! Tu vois le chat de Ben ? Peut-être qu’il nous le prêterait.
Ben c’était le surnom d’un ami qui s’appelait Thomas. Allez savoir pourquoi. Non je n’avais jamais vu son chat.
-Sérieux ? Mais c’est un truc de malade ! Il est énorme son chat ! Je veux dire littéralement énorme ! Avec un chat comme ça, on gagnerait même si notre chanson était pourrie.
On appela Ben sans lui dire de quoi il retournait, juste pour savoir si on pouvait passer chez lui. Il y consentit.
-Pas moyen les gars », nous dit-il lorsque nous lui exposâmes notre requête. Nous étions vachement déçus.
-Sérieux ? Pourquoi ? Franchement c’est un chat de compète ! » m’exclamai-je en jetant un regard plein d’envie vers l’animal qui ressemblait à un gros ballon plein de poils.
-C’est pas pour faire chier. C’est juste qu’il supporte pas de sortir. Ca lui donne des crises d’angoisse.
-Tu te fous de notre gueule ?
-Bah non, regarde.
Il ouvrit la porte et immédiatement, le chat s’en écarta en deux deux, l’air visiblement affolé. Une fois la porte refermée, l’animal resta prostré un long moment dans le coin où il s’était réfugié, tremblotant.
-Ah ouais, quand même », fis-je, songeur. « Mais qu’est-ce qui l’a mis dans cet état ? »
-Bah, j’en sais trop rien. C’est surtout les autres chats qui lui font peur j’ai l’impression.
On se gratta mentalement le menton.
-Bon ok, on oublie » fit Rodolphe. Puis après un moment de réflexion supplémentaire. « Il pèse combien ton chat ?
-J’en sais rien, il m’a pas dit…
-Sans déconner tu t’es jamais demandé ?
-Bah si, mais bon, il a beau être gros, j’arrive pas à le faire tenir tranquille sur la balance.
On se regarda avec Rodolphe en se demandant s’il déconnait, mais visiblement non.
-Putain mais Ben, t’es con ou quoi ? T’as qu’à te peser avec !

jeudi 17 novembre 2011

I' ve been near the sun II : Barry White meets Annette

Une fois que nous fûmes d’accord avec Rodolphe, s’agissait d’enregistrer la chose.
-On réenregistre tout ? », demandai-je déjà gavé à l’idée de refaire les prises de voix et de guitares.
-Nan on va pas se faire chier. On va se caler au bout de la piste et enregistrer juste la fin.
-Ok
Ok ? Plus facile à éructer qu’à mettre en pratique. En deux ans de tabagie intensive ma voix avait pas mal changé. Je n’étais pas encore Barry White mais plus vraiment Annette non plus (mais si ! Annette de « Premier baiser » ! « Fucked first » en anglais !). Du coup, lorsqu’on réécouta la première prise de chant qu’on avait enregistrée, Rodolphe me regarda.
-On est bien dans la merde », résuma-t-il avec son sens inné de la formule. « Putain mais qu’est ce qu’est arrivé à ta voix ?
-La puberté ? » tentai-je pour détendre l’atmosphère. Un peu stressé je m’apprêtais à m’allumer une cigarette.
-Tu fais quoi là ? » me demanda Rodolphe.
-Bah je me fume une clope pourqu…
-Nan c’est fini ça. Plus de clope pendant les prises de chant. Je suis sérieux. Franchement au début du morceau ça le fait carrément ta voix genre enfantine comme sur la chanson de…merde…comment il s’appelle…putain tu vois pas ? « Quand on aura vingt ans en l’an 2001… »
-Pierre Bachelet ? J’ai la voix de Pierre Bachelet ?!!!
-Mais non ! Plutôt celle d’un des gosses qui chante sur les refrains. Tu vois ce qu’est bien c’est le contraste entre la mélodie qu’est assez triste et ta voix… Alors que sur la fin du morceau tu sonnes comme une vieille pute qui se crame des gitanes maïs au kilomètre.
J’étais offusqué. Mais au fond de moi, je savais qu’il n’avait pas complètement tort. Je m’étais un peu laissé aller ces derniers temps. Pas qu’au niveau des clopes. Même question ligne, j’avais un peu déconné. Où était passé le longiligne éphèbe d’antan ? Fallait reconnaître, je ne donnais pas très faim. Vestimentairement, j’aurais aussi pu faire un effort : je mettais des pantalons en velours parce que j’avais vu un mec sur qui ça rendait bien et un gilet que je croyais ressembler à celui porté par Kurt Cobain lors de l’enregistrement de l’unplugged sur MTV. Résultat, loin de ressembler à mes modèles, j’avais l’air de Jean Rochefort.
Je tentai alors de me reprendre en main. Le premier pas fut d’arrêter de fumer. Ce fut dur. Heureusement ça ne dura pas bien longtemps. Juste ce qu’il faut pour que ma voix s’éclaircisse un peu et me laisse enregistrer la fin de la chanson. Ca prit un mois environ. On m’a ensuite dit que c’était complètement psychologique cette histoire d’éclaircissement de la voix, qu’en aussi peu de temps, rien ne pouvait avoir vraiment changé, mais bon, Rodolphe était content du résultat et moi pareil. Bon si on tendait un peu l’oreille on se rendait compte qu’on avait collé deux parties enregistrées à deux moments différents mais on espérait que ça le ferait.
Et cela le fit. Je reçus un mail des Inrocks qui m’informait qu’ils avaient le plaisir de nous compter parmi les heureux participants sélectionnés qui verraient leur titre figurer sur une de leur compil.

La chanson en question (version groupe, avec Adrien Chabal à la guitare et Baptiste Chardon à la batterie):
Listen!

mardi 15 novembre 2011

"I've been near the sun": la Genèse

Folks entama une longue traversée du désert. Rodolphe était à la fac de lettre, moi en prépa littéraire et, du fait d’emplois du temps divergents, nous ne pouvions nous réunir pour répéter qu’une fois par semaine, le samedi pour être précis. Ca ne nous empêchait pas de continuer à écrire des chansons voire même de les enregistrer. Les années passèrent. Le franc céda la place à l’euro, le mur de Berlin s’effondra, les femmes acquirent le droit de vote…
Tant et si bien qu’un beau jour de l’automne 2004 je crois, Rodolphe m’appela :
-T’as vu le concours dans les Inrocks ?
-Nope. » Ne me demandez pas pourquoi j’avais à l’époque pris l’habitude de m’exprimer en monosyllabes tout droit sortis d’un film prenant pour héros un sheriff texan mâchouillant un cure dent.
-Bon en deux mots : faut proposer une chanson, ils en sélectionnent vingt et ils font un disque qu’ils sortent avec l’un de leur numéro. Tu me suis ?
-Yeap.
-Bon après, y a un vote du public et d’un jury, il y a un gagnant qui remporte un peu de thune je crois.
-Allright ! » Deux syllabes ! Bel effort mais je sentis Rodolphe un peu irrité à l’autre bout du fil. Aussi décidai-je de recourir de traduire ma pensée en français. En vain, car le seul mot qui me vint aux lèvres fut « Cool ! ». J’entendis mon ami soupirer puis au bout d’un moment il reprit :
-Bon je me disais qu’on pouvait peut-être finir « I’ve been near the sun » et l’envoyer. T’en dis quoi ?
I’ve been near the sun c’était une chanson qu’on avait composée une voire deux années auparavant. Pourquoi ce titre ? Qui se trouvait prêt du soleil et pour quelles obscures raisons, franchement je ne m’en souviens plus. Ce que je sais par contre, c’est que j’avais découvert Nick Drake peu auparavant, en particulier l’album Pink Moon. Or quand j’avais trouvé le début de notre chanson, je m’étais dit qu’il ressemblait un peu à celui de « Things behind the sun ». J’avais hésité du coup à abandonner la chose en l’état. Mais finalement j’avais continué à bosser dessus car j’aimais vraiment le début. Quand j’avais dû pondre le texte, je m’étais dit que je pouvais faire une petite référence à la chanson de Nick (ouais Nick. Un problème ?).
Bon moi j’étais pour l’envoyer, aucun problème même si elle était déjà vieille. Mais pourquoi Rodolphe parlait-il de « finir » le morceau ? On l’avait bel et bien enregistré. On pouvait bien l’envoyer comme ça nan ?
-François, elle fait 1min20 la chanson » Il m’appelait par mon prénom pour m’attendrir.
-Et alors ? », répondis-je, inflexible « Dans le punk y a plein de chansons qui font moins que ça.
-Putain mec, y autant de rapport entre nous et le punk qu’entre chais pas…un chien et…enfin tu vois quoi.
-Nan je vois pas : un chien et quoi ?
-Putain tu fais chier !
-Mais sérieusement, pourquoi on devrait se plier au format radio genre 3 min ?
-Je sais pas… pour gagner de la thune par exemple ?
Je réfléchis un instant, puis je validais l’argument et acceptais de trouver une fin alternative à « I’ve been near the sun ».

lundi 14 novembre 2011

Pantera vs Georges Brassens ou "De l'importance du batteur en milieu hostile"

J’en étais à me demander comment ce con faisait pour évoluer dans l’espace avec ça sur les yeux quand Rodolphe me fit signe de regarder Julien. Il avait sorti de je ne sais où une petite radio qu’il gardait collé contre son oreille. Devinant que je m’apprêtais à lui faire une remarque, Julien dit d’un air mauvais « C’est bon, c’est bon, on y va », puis alla s’installer derrière la batterie, la radio toujours à la main.
Une fois prêt je regardai notre public ou plutôt les six personnes qui le constituaient. Il y avait mon frère, Sabrina et deux copines à elle et l’ingé son. Bon ok j’ai mal compté, ça fait cinq. Même les mecs de l’autre groupe étaient à l’autre bout de la péniche où le proprio avait placé une petite télé et on entendait leurs éclats de voix à chaque fois qu’une action un peu chaude avait lieu. Quand c’était le cas, Julien tendait le cou pour tenter d’apercevoir quelque chose et répétait frénétiquement « Y a quoi ? Y a quoi ? ». Et de fait on n’eut pas à attendre longtemps vu qu’on était au beau milieu de notre première chanson lorsqu’un fourbe croate nommé Suker se décida à nous en coller un bien profond en tout début de deuxième mi-temps. On entendit des hurlements de déception et Julien s’arrêta illico de jouer.
-Y a quoi ? Y a quoi ?
-But pour les croates.
Difficile d’enchaîner après ça. J’étais encore en train de me demander comment ramener Julien à la vie, lorsque d’autres exclamations se firent entendre, de joie pour le coup. Julien n’eut même pas le temps de poser sa question.
-But de Thuram !
-De Thuram ? » répéta Julien, incrédule.
-De Thuram, carrément !
Bon moi le foot, très honnêtement, je m’en battais un peu les rouleaux. Du coup c’est un peu irrité que je me retournai vers mon ami pour lui demander si il y avait éventuellement moyen de jouer une chanson en entier.
-Putain mais mec, Thuram quoi !
-Bah quoi, il est sur le terrain, normal qu’il en mette un de temps en temps nan ?
Déployant des trésors de patience, il me parla comme s’il s’adressait à un enfant un peu lent.
-Mais il est défenseur latéral droit, François !
Pour moi, ça n’était pas une raison valable. Et je le fis savoir.
-C’est pas une raison valable ! Même si il n’y a que cinq personnes dans le public…
-Quatre en fait », me corrigea Rodolphe. « l’ingé est allé regarder aussi.
-Ca change rien ! Il y a quand même quatre personnes qui se sont déplacées pour nous voir ! C’est une question de respect de continuer à jouer !
Il me semblait avoir convaincu Julien qui, malgré un manque d’entrain patent, se remit à taper sur sa batterie. Cependant lorsque dix minutes plus tard, on entendit des hurlements de joie provenir de l’avant de la péniche, il se leva sans hésitation, jeta ses baguettes à terre et se précipita vers le poste de télé. Nous ne le savions pas encore mais le second but de Thuram (un putain de défenseur latéral droit !) allait durablement marquer l’évolution artistique de Folks qui de power-trio se transforma par la force des choses en un duo guitare-basse : notre force de frappe sonore ne serait plus celle de Pantera mais bien plutôt celle de Georges Brassens sans moustache.

mercredi 9 novembre 2011

Folks sur le toit du monde: football et gastronomie indienne

Il était 19h et on commençait à avoir faim. On chercha un moment dans le quartier un restaurant pas trop cher pourvu d’une télé et on atterrit finalement à l’Everest un Indien dont le propriétaire avait l’air italien. Après avoir commandé pitance et reçu un cours accéléré sur la cuisine du rajasthan (« Tout est cuit dans un four appelé le Tandoor »), nous regardâmes en silence la spéciale coupe du monde de TF1, on apprit que NOS joueurs s’étaient entrainés une petite heure puis qu’ils avaient mangé des pâtes.
-Ouais des sucres lents, normal » fit Julien. Putain après le latin, la nutrition. Ce gars ne cesserait donc jamais de m’étonner. Le téléphone portable de Rodolphe fit vibrer la table.
-C’est Vincent, il est arrivé. Il demande où on est.
-A l’Everest.
Rodolphe répondit donc en faisant jouer son pouce surdéveloppé sur les touches du téléphone et cinq minutes après, Vincent arriva. Depuis le funeste concert de Réticulum endoplasmique, il avait troqué la raie au milieu pour une coupe plus déstructurée.
-Ca va les mecs ? Quoi de neuf ?
-Ils ont mangé des pâtes », dit Deuf en montrant de la tête nos joueurs filmés dans les vestiaires.
-Normal, sucres lents quoi.
-Ouais voilà.
Puis les joueurs entrèrent sur le terrain, accompagnés par des enfants qui étrangement me semblaient être tous blonds. Les hymnes. Puis début du match. Bon je vais la faire courte, je n’ai aucun souvenir de cette première mi-temps. La seule chose dont je suis sûr c’est qu’au bout de 45 minutes, le score était vierge. Pas un but, rien, walou, keutchi. Tout allait se décider pendant la seconde mi-temps, ou durant les prolongations. Si ça allait jusqu’aux tirs au but, on avait peut-être une chance de pouvoir les regarder après notre concert mais bon il y avait quand même de fortes chances pour que tout se décide sans nous. Le moment n’était plus aux regrets, on s’était engagé, il y avait pas à chier, nous devions donner ce concert.
-Va falloir y aller les mecs », dis-je avec douceur. Julien me regarda comme si je venais de lui demander d’abandonner son frère malade. Puis il hocha la tête en signe d’assentiment comme s’il venait de comprendre que lutter contre la mort ne servait à rien : il fallait laisser partir Kévin.
-Vincent, tu viens ?
-T’es ouf ! Je vais à l’hôtel de ville ! Y a un écran géant !
Je le regardai. Incrédulité et déception.
-T’es pas venu pour le concert ?
-Bah non ! Demi mec demi !
Ceci dit il se mit à trottiner en direction de la mairie, nous abandonnant à notre triste sort. Nous regagnâmes la péniche. Il était près de neuf heures et le soleil déclinait dans le ciel tel l’espoir dans notre cœur.
-Putain les mecs, vous auriez dû commencer y a dix minutes !
Déjà en général je n’accepte pas qu’on me parle comme ça, mais a fortiori lorsque l’agresseur porte des lunettes avec des photos de lui sur les verres.

lundi 7 novembre 2011

John Carpenter's style

Après s’être cultivé, on allait en cours et à la fin de la journée, on revenait avec Deuf et on s’y mettait. Au bout de quelques semaines on avait déjà trois quatre morceaux dont « Fnôlic ». Rodolphe qui aimait bien jouer avec son quatre pistes m’avait enregistré en train de chanter je ne sais plus quel morceau puis il avait passé la bande à l’envers. Ca donnait un truc assez marrant sur lequel il avait placé une musique bien oppressante, John Carpenter’s style. « Fnôlic » parce qu’on avait l’impression que c’est ce que je répétais sur le refrain. Comme on aimait bien le morceau on a essayé de le reproduire mais c’était compliqué, j’avais un peu l’impression de chanter en bushman.
Puis vint le jour où nous eûmes suffisamment de chansons en réserve pour pouvoir faire un petit concert. Je ne me souviens plus de la manière dont on a trouvé le plan mais on nous a finalement proposé de jouer en première partie d’un autre groupe sur une péniche amarrée dans Paris. La balle au bond. Je me rappelle bien c’était le début de l’été 98. Très précisément le 8 juillet. Pas que j’ai une mémoire de malade mais tout simplement parce que j’ai tapé dans le moteur de recherche « France Croatie 98 » et que ça m’a sorti la date. Et oui, Nous avions eu la riche idée de nous produire pour la première fois le soir de la demi-finale de coupe du Monde de football opposant notre glorieux pays à cette fière nation issue de l’ex-Yougoslavie. N’étant pas particulièrement fan de foot, j’apprenais la coexistence des deux événements, environ une semaine avant lorsque Julien menaça de faire grève.
-Putain les mecs ! La demi-finale quoi ! Je peux pas rater ça !
-Attends, on sait même pas à quelle heure on joue ! Avec un peu de chance, on aura fini pour le coup d’envoi. En plus on sera juste à côté de l’hôtel de ville. Ils vont mettre un écran géant. Je suis sûr qu’on pourra mater le match après le concert, t’inquiète pas !
J’avais tort. Lorsqu’on arriva sur place, en fin d’après-midi pour faire la balance, on apprit que nous commencerions à la deuxième mi-temps. Les mecs qui jouaient après nous et qui avaient trouvé le concert espéraient ainsi que leurs potes viendraient après la rencontre.
-Bah on va mater la première mi-temps, c’est déjà pas mal, non ? », essayais-je vainement de positiver.
-La demi quoi ! », répétait Julien sans parvenir à vraiment réaliser qu’il allait louper la moitié d’un des événements footballistiques de la décennie. Aussi, c’est un peu hébété qu’il se soumit aux exigences de l’ingé son lorsque ce dernier régla le son de la batterie.
Après notre balance on croisa les gars de l’autre groupe. Pas de souvenirs très précis ni de leur gueule, ni de leur musique. Je me souviens juste que le chanteur avait l’air d’un vainqueur et qu’il portait des lunettes de soleil avec des verres sur lesquels il avait collé des photos d’identité de sa propre personne.

vendredi 4 novembre 2011

Nirvana vs Grand orchestre du splendid : de l'importance d'un nom qui tabasse

L’ami en question, un certain Manu, avait rapporté la cassette de Heat, le film de Michael Mann où De Niro fait du De Niro, Pacino du Pacino et Val Kilmer joue comme une merde. Je m’ennuyais profondément, ayant l’impression que le but du réalisateur avait été de voir combien de balles on pouvait tirer dans le même film. Puis vint un moment atypique dans le film où De Niro se retrouve avec une femme sur le balcon d’un immeuble surplombant ce qui, dans ma mémoire, ressemble fortement à Los Angeles. Pour l’occasion Robert a rangé son flingue et écoute la fille lui raconter sa vie, quand soudain elle parle de sa famille en disant « my folks… » etc. Epiphanie ! Révélation ! Notre groupe s’appellerait Folks ! Tout collait à la perfection : je jouais de la guitare folk, nous étions des gens tout ce qu’il y avait de plus normaux (nuance que restitue bien le terme « folks » en anglais) et en plus à l’oreille ça tabassait ! Ajoutons à ça que les meilleurs groupes avaient toujours des noms tenant en un mot : les Beatles, les Pixies, Nirvana. Tandis que de l’autre côté du spectre il y avait le Grand orchestre du Splendid.
-« fucks » ?
-Mais non ! « Folks » », corrigeai-je Julien.
-« The Folks » ?
-Nan, Folks tout court.
-Moi j’aime bien », dit Rodolphe après une minute de réflexion.
-Mouais », fit Deuf, pas convaincu. « Ca manque un peu de mystère je trouve. Pourquoi pas « red blood » ?
-Red Blood ?
-Ouais Red Blood. Le « sang rouge » », ajouta Julien pour nous éclairer « Ca tape non ?
Au bout de dix minutes nous parvînmes à lui faire lâcher cette étrange idée en mettant en évidence que le sang pouvait difficilement être d’une autre couleur que rouge et que « red blood » ça sentait un peu le pléonasme. En bougonnant pour la forme, il se rangea alors à l’avis de la majorité et voilà : le groupe était, sans plus de circonvolutions, baptisé « Folks ».
Nous commençâmes à répéter d’arrache pied, enfin autant que nous le permettait une unique répétition hebdomadaire. Afin que je ne me trimballe pas la guitare au bahut toute la journée, ma mère me déposait chez Rodolphe avant les cours pour que je laisse ma guitare chez lui. Comme tous les deux on commençait une heure plus tard ce jour là, on regardait généralement un bout de catch attack.
-Lui, il s’appelle le « tremblement de terre » », m’expliqua une fois Rodolphe en désignant un mec qui avait des trapèzes surdéveloppés.
-Earthquake ?
-Nan, le tremblement de terre.
-Ouais mais il est américain non ? Du coup…
-Mec on s’en branle. Par contre ce qui est bon à savoir c’est qu’il s’entraîne avec Harold Schwarzenegger ?
-Arnold nan ?
-Ah ouais ptêtre. En tout cas ce mec c’est une vraie bête, un malade, une machine à faire souffrir l’adversaire.
-Ah ouais ?
-Ouais. Il y a un an il a volé la ceinture de la WWE à Hulk Hogan…
-Volé ?
-Ouais, volé. Il a profité d’un moment d’inattention d’Hulk pour lui fracasser une chaise sur la tête. Un truc vraiment dégueulasse vu que normalement ils ont pas le droit d’utiliser le mobilier.
- ???
-ouais, c’est la règle. C’est dur mais c’est la règle. Tiens ! Regarde la clé de bras qu’il fait à l’Undertaker !
-Le croque mort ? C’est son nom ?
-Chais pas, il est américain.

mercredi 2 novembre 2011

Version latine, chants grégoriens et balle aux prisonniers

J’étais encore sur Baudelaire à me demander si Jack Torrance allait se décider à trucider sa femme et son fils lorsque j’entendis ma mère m’appeler.
-François, c’est Julien au téléphone ! Tu le prends dans le salon ?
-Ok ! », hurlai-je de ma chambre. Pas que c’était énorme chez nous, plutôt que les portes étaient épaisses.
-Yo », fis-je finalement pour annoncer ma présence sur les ondes téléphoniques.
-Yo », me répondit Deuf.
-Ca va mec ?
-Ouais ça va. Ecoute, j’ai réfléchi pour cette histoire de groupe.
-Ah ouais ? Cool. Et t’as décidé quoi ? », demandai-je tout en sachant pertinemment ce qu’il en était. Je me sentais un peu comme un mélange de Machiavel et de Richelieu dans les trois mousquetaires.
-Bah, je me suis dit que si je me débrouillais bien, je pouvais peut-être réussir à me libérer le samedi matin. Ca serait bien le samedi matin non ?
-Parfait, carrément parfait.
-Bon bah on commence quand alors ?
-Bah faut que je voie avec Rodolphe mais samedi prochain, ça serait cool.
-Ah merde. J’ai foot samedi prochain.
Je ne répondis rien, laissant le silence exprimer ma désapprobation à ma place. Tant et si bien que, mal à l’aise, Julien en vint de lui-même à proposer une solution.
-Enfin ptêt que je pourrais dire que je me suis foulé un truc ou un autre.
-Voilà. Ca serait pas mal ça.
J’avais semé la graine du doute dans l’esprit de mon ami et ce dernier commençait à douter du charme des matchs le dimanche matin dans des stades vides aux quatre coins du 92. J’étais persuadé qu’il arrêterait bientôt toute pratique sportive et qu’il me remercierait trente kilos plus tard.
Nous avions le groupe, nous avions un squelette de chanson. Restait à trouver notre nom.
-Les imbattables ! » proposa Julien. Nous étions tous les trois réunis au café de la Mairie à Sèvres.
-Putain merde, Deuf », lui dit Rodolphe « On est pas en CM2 en train de trouver le nom de notre équipe de balle aux prisonniers là !
-Ca va c’était pour déconner !
-Ca pourrait être une expression que tout le monde comprend genre… chais pas… « carpe diem » ?
-« Carpe Diem » ? », demandai-je, incrédule.
-Bah ouais genre « profite du jour présent » quoi ! Le cercle des poètes disparus et tout…
-Excuse moi de te corriger mais ta traduction est impropre: « cueille le jour » serait plus correct. » Nous regardâmes Julien avec stupéfaction. Ce mec était fan de l’OM et latiniste ?
-Nan », repris-je après avoir digéré le flot d’information qui venait de m’assaillir. « Pas carpe Diem ». On dirait le nom d’un groupe de curé qui chante des chants…
-Grégoriens », compléta Julien qui voyait que je luttais un peu. Là encore, nous nous retournâmes vers lui.
-Questions pour un champion » fit-il, en guise d’explication.
Une fois chez moi, je me creusais la tête pour tenter de trouver un nom potable, mais rien, le néant, le vide, le grand rien…Mes parents n’étaient pas à la maison ce soir-là et on se mit en position matage de film avec mon frère et un de ses potes.

vendredi 28 octobre 2011

East 17 Vs Manowar et de la supériorité des concerts sur les matchs de foot d'un point de vue séductionnel

Restait à recruter le batteur. Il nous fallait le meilleur, notre Dave Grohl à nous. J’eus une idée.
-Tu vois qui c’est Julien. Le grand mec barraque qu’était chez Fred tout à l’heure ?
-Julien… », fit-il en se caressant le menton mentalement. « Ah ouais ! Deuf tu veux dire ! »
C’était effectivement son surnom, j’avais oublié pourquoi.
-Ouais, voilà, Deuf. Bah je crois qu’il prend des cours de batterie.
-Bah pourquoi pas. Il est super marrant ce mec. »
Effectivement Julien était le gars le plus drôle que je connaissais et c’était l’une des raisons pour lesquelles j’avais proposé son nom. Mais pas uniquement. C’était également parce que, sans l’avoir jamais vu jouer de batterie, je savais qu’il avait un putain de sens du rythme. Ca, j’avais pu le constater en cours de musique au collège, dans la classe de Madame Lanus (« Ca se prononce Lanu ! Sans le –s !», tentait-elle vainement de nous convaincre à chaque début d’année). L’un des seuls devoirs qu’on devait rendre dans ce cours, c’était un exposé sur un artiste ou un groupe musical qu’on appréciait. Ca partait d’un bon sentiment de la part de Trouduc. Malheureusement, ça signifiait également qu’on était obligé de subir les goûts de merde des fans de East 17, ou, à l’autre bout du spectre, ceux des aficionados de Manowar (groupe de hard surtout connu pour avoir dépassé lors d’un concert le volume sonore d’un Airbus au décollage). Quoi qu’il en soit, bien souvent Julien accompagnait les extraits de morceaux en tapant avec sa règle et un crayon et j’étais toujours plutôt épaté par sa manière, non seulement d’être en rythme, mais également de rajouter des petites fioritures qui laissaient deviner un talent de batteur qui, bien qu’inexploité, n’en demeurait pas moins réel.
Nous retournâmes donc à la soirée pour informer Julien aka Deuf de l’honneur qui lui était fait, celui de pouvoir auditionner pour la place de batteur dans un groupe sans nom et sans autre répertoire qu’une chanson sans parole mais avec un titre. Il fut enthousiaste.
-Chais pas trop les mecs. Ca serait pour jouer toutes les semaines ?
-Bah dans l’idéal ouais.
-Et quand ?
-Parce que le week-end j’ai souvent foot et le mardi soir, j’ai foot aussi.
-Putain mec, j’en reviens pas ». J’étais effectivement dépité mais pas dénué de ressources. « T’as une copine ou pas ?
-Bah euh, c’est un peu intime comme question…
-bon ok, ça veut donc dire que t’en as pas. » Sans laisser place aux dénégations, j’enchaînai. « Y a souvent des filles qui viennent voir vos matchs au stade ?
-Bah euh non, pas souvent.
-Par contre t’es déjà allé à un concert d’un de ces groupes de reggae de merde là, t’as vu le nombre de meufs qu’il y a à chaque fois ?
-Plus qu’au foot c’est sûr » Je vis son œil s’illuminer. Je devinais que le poisson était ferré et qu’il suffisait désormais de le laisser sauter de lui-même dans la barque. Ce qu’il fit deux jours plus tard.

mercredi 26 octobre 2011

Babibol et Yaourt: de l'importance des produits laitiers

Il n’avait pas menti, il habitait bien à dix minutes et possédait bien une maison pourvue d’une cave. Nous nous y engouffrâmes sans passer par la case « parents ». La pièce était bourrée ras la gueule d’instruments : une batterie, deux trois guitare, des amplis de différentes tailles, des congas… Rodolphe m’expliqua que, bien souvent, les gars avec lesquels il jouait laissaient leurs instruments sur place pour éviter d’avoir à se les taper dans les transports.
-Ils s’entraînent comment alors ?
-Voilà, t’as mis le doigt sur le problème.
Il sortit une guitare acoustique d’une housse recouverte de poussière.
-C’est une Takanime.
-Une Takamine tu veux dire.
-Nan, nan, t’as bien entendu, une Takanime. C’est une copie qui vient d’Asie. Un peu comme le Babibol chez Leader Price.
-Babibol ?
-Ouais, le fromage.
Il me passa la guitare et me fit signe de m’asseoir dans un fauteuil qui avait connu des jours meilleurs. Bon, c’était le moment de vérité. Si la chanson ne lui plaisait pas, j’aurais le droit à un « c’est sympa » et on passerait à autre chose. Or je ne sais pas si je l’ai déjà dit mais j’avais bien envie de jouer avec ce mec. Il assurait. Je lui avais dit vrai : il y avait une chanson dont j’était plutôt satisfait. Seul problème, je n’avais pas de texte et me contentait de placer un ou deux mots identifiables à des endroits stratégiques (souvent à la fin des phrases), yaourtant le reste. Ca donnait un truc comme : « gnafil love moue tonight/ stepliz youcan allright ». Je pris la température en lui demandant s’il parlait anglais.
-Bah un peu. « I speak a few » quoi, comme tout le monde.
Rassuré je me lançais. Et hop couplet, tout en retenu, genre mystérieux, trois accords mais bien placés. Refrain en vue, « over your eyyyyyes » (à qui appartenait ces yeux et par quoi étaient-ils recouverts ? Enigme). Puis couplet refrain pont refrain.
-Elle s’appelle comment ? », me demanda-t-il lorsque ma voix cessa de rebondir sur les murs en béton.
-« Over your eyes » », dis-je aplomb, taisant le fait que le titre avait deux minutes d’âge.
-Bah franchement, elle tabasse.
Une vague de chaleur me parcourut des pieds à la tête. « Reconnaissance », j’écris ton nom en lettres capitales. Ca me faisait vraiment plaisir, comme un chien auquel on gratte le ventre avec tendresse. Avant ça, mon seul public c’était ma mère. Quand je trouvais une chanson, j’allais la voir et je la lui jouais dans la cuisine. Si elle en pensait du bien, elle disait généralement « Elle a quelque chose celle là ». Si au contraire, ça ne lui parlait pas plus que ça, elle s’en sortait avec un « Faut que je la réécoute ». La plupart du temps, elle ne faisait que confirmer ce que je pensais de mes morceaux. Difficile de tromper une fan de Nirvana et de Paolo Conte.
-Ah ouais t’aimes bien ?
-Carrément mec. Faut qu’on joue ensemble y a pas de doute. Enfin, si ça te dit.
-Bah écoute », fis-je en prenant l’air de songer à cette éventualité pour la première fois. « Ouais, on pourrait essayer.

lundi 24 octobre 2011

Le deuxième concert part 10 ou "Le requin passe à l'attaque"

J’eus comme une sorte d’éclair de lucidité et je devinai que cet instant allait s’avérer crucial dans ma vie de musicien. Je voulais jouer avec ce mec, il assurait. Mais comment le convaincre ? Etre franc comportait des risques. En même temps il allait bien falloir que je lui dise la vérité à un moment ou à un autre. La seule alternative possible était celle des lâches, des pleutres, des couards. Elle consistait à simuler l’enthousiasme sans aucune considération pour le concept de franchise. Je n’hésitai pas un seul instant.
-Wouahoh mec ! C’était carrément bien ! La chanson sur le shit et tout… Waouhaoh !
-Te fatigue pas, c’était à chier.
-Oh mec ! Nan, carrément pas ! On peut pas dire ça…
-Si si on peut et on va pas se priver. Putain en plus j’étais juste à côté des cuivres, j’ai bien morflé.
-Bah, c’est sûr qu’il y a des trucs à améliorer mais enfin quand même, 116 voix quoi !
-Mouais…
-Bon après je t’ai dit le reggae c’est pas trop ma came. Mais « dans le genre », c’est loin d’être ridicule.
Je nageais autour de ma proie en cercles concentriques : j’étais peu à peu passé de « génial » à « loin d’être ridicule » ; encore deux minutes et j’évoquerais pernicieusement la possibilité pour Rodolphe de se consacrer à une aventure artistique qui lui conviendrait mieux. Je m’apprêtais à passer à l’attaque lorsqu’il me coupa l’herbe sous le pied.
-Tu veux pas monter un groupe toi ?
-Monter un groupe ? Ouais, c’est pas con comme idée. Faudrait que je réfléchisse.
-Bon, tu me diras. Tu veux venir boire un coup avec nous ?
La perspective de trinquer avec le didgéridiste plein de locks me donnant des hauts le cœur, je déclinai poliment l’invitation. Si nous avions été cinq ans plus tard, nous aurions échangé nos numéros de portable. Mais comme on était en plein en 1996 et qu’on n’était pas suffisamment cons pour avoir des tatoos, on se communiqua nos fixes.
Résultat, deux semaines plus tard, alors que je ne l’avais pas croisé depuis le concert, Rodolphe téléphona chez moi. Comme on était un peu en pointe niveau technologie, nous disposions d’un téléphone sans fil que ma mère m’apporta dans ma chambre où j’étais en train de lire un roman de Stephen K… de Baudelaire.
-Ouais ?
-C’est Rodolphe.
-Salut ça va ?
-Ca va et toi ?
-Ouais ça va.
-Y a une soirée chez ce mec, Fred, qu’habite près de chez moi samedi. Ca te tente ? On pourrait rediscuter de cette histoire de groupe.
J’opinai verbalement et le week-end venu, je me rendis dans le pavillon du dit Fred, sur les hauteurs de Sèvres. J’y retrouvai Rodolphe mais aussi Vincent et d’autres amis comme Julien et Laurent avec lesquelles il faisait bon rire. Ce que nous fîmes. Nous bûmes également un peu. Et nous reparlâmes, Rodolphe et moi, de cette idée de procéder à la création d’une entité musicale totalement novatrice, sous la forme révolutionnaire d’un trio guitare basse batterie.
-T’aurais des chansons à me montrer ? », me demanda-t-il.
-J’en ai une dont je suis assez content ouais…
-Il nous faudrait une guitare quoi », fit-il en regardant autour de lui. « Tu sais quoi ? J’habite à dix minutes. On peut aller vite fait chez moi et tu me la montres dans ma cave »
Je le regardai d’un air soupçonneux, puis compris qu’il me parlait de la chanson.
-Ah… euh, ouais… carrément on peut faire ça.
-Ok, on y va.

vendredi 21 octobre 2011

Le deuxième concert Part 9 ou "Pour la prohibition du didgéridoo, des dreadlocks et de la musique militaire"

C’était dans le cadre d’un de ces tremplins organisé par des gens peu scrupuleux qui n’hésitent pas à tirer parti de la naïveté des groupes amateurs auxquelles ils ont affaire. Je crois que le système existe toujours. En tout cas à l’époque le deal c’était : on te fait jouer dans une bonne salle mais en contrepartie tu t’engages à ramener tant de potes à tant la place. Si tu n’y parviens pas, bah tu payes la différence. Enthousiastes à l’idée de se produire dans des endroits assez connus, les groupes disent banco et font chier la moindre personne qui passe dans leur champ de vision durant les deux semaines précédant le concert pour éviter de lâcher eux-mêmes la thune.
Bref, Listen to the Kangaroos jouait cette fois là au New Morning. Avant eux, deux groupes dont je ne me rappelle plus le nom et encore moins la musique. Finalement ça a été le tour de Rodolphe et de ses collègues. Première chanson : ô surprise, un hymne à la légalisation du cannabis avec, en prime, une vision toute en nuance de cet estimable corps de métier qu’est la police nationale. Je crois sincèrement avoir entendu le chanteur faire rimer « flic » avec « colique » (« alcoolique » constitue une autre possibilité). En résumé, les mecs étaient pas mal engagés. Et cela, autant politiquement qu’artistiquement comme le prouva la deuxième chanson. Cette dernière fut précédée d’une intro du sus-cité joueur de didgéridoo, un petit blanc à dread chiasseuse qui semblait déterminé à apporter la preuve que, question capacité pulmonaire, bah il se plaçait là. Cinq bonnes minutes passées à l’entendre produire des bruits situés à mi-chemin entre l’agonie de la vache atteint de la maladie de Creutzfeld Jacob et le barrissement d’un éléphant se faisant rouler sur la patte par une jeep. Puis il se mit d’accord avec lui-même pour répéter un thème de trois notes en boucle sur lequel vint se poser une guitare rythmique dont le propriétaire avait visiblement une idée claire de ce que devait être le reggae : une musique martiale qui se rapprochait plus de la bourrée que du calypso. Finalement, je regardais Rodolphe qui se tenait à une extrémité de la scène comme s’il se réservait le droit de se barrer à n’importe quel moment, la situation dût-elle empirer au-delà du supportable. J’essayais de me concentrer sur son jeu et force me fut de constater qu’étant données les circonstances, il s’en sortait plutôt bien, réussissant parfois même à me faire oublier par l’ingéniosité d’une ligne qu’il fournissait la nécessaire structure d’un édifice monstrueux.
Vint la fin de leur prestation. Comme pour les autres groupes, le public fut appelé à voter à main levée. Par souci d’intégration je levai ma mimine comme tous les amis qui se trouvaient là, avec l’impression de cautionner un acte un peu honteux sans réellement pouvoir faire autrement. Là, très sérieusement, un mec de l’organisation fit semblant de compter les mains et déclara d’un ton qui ne laissait pas place à la discussion : « 116 ! ». Avec un tel score, Listen to the kangoroos remportait haut la main le match qui les opposait aux autres formations et gagnait un ticket pour jouer à l’Elysée Montmartre.
J’attendis que Rodolphe sorte des coulisses pour le saluer avant de me retirer.
-Alors ? T’as trouvé ça comment ?

mercredi 19 octobre 2011

Le deuxième concert part 8 ou "Julien Lepers meets Master of Puppets"

Toujours est-il qu’au bout de quelques années, il arrêta le tennis, précédant de trois ou quatre mois la fin de ma propre carrière. Je n’avais plus entendu parler de lui jusqu’à mon arrivée au lycée de Sèvres où je le retrouvai. N’ayant aucune raison de lui parler, je m’en dispensai. Jusqu’au jour où on se retrouva dans la même soirée. On commença à discuter un peu par politesse puis on s’aperçut qu’on avait des goûts musicaux en commun : un peu comme dans ce film, « Boogie Nights » où deux personnages croient avoir trouvé l’âme sœur en découvrant qu’ils aiment tous les deux les couchers de soleil, on avait l’impression d’être les premiers à adorer les Beatles.
-Et « I am the walrus »? T’aimes « I am the Walrus »?
-Carrément!
-Et « A day in the life »? Tu vois laquelle c’est ? Celle qu’a plusieurs parties là…
-Clair !
« Clair ». Profondeur de l’analyse. Après les Beatles, on est passé à Nirvana (« Sérieux ? Toi aussi t’aimes « Smells like teen spirit » ? ») puis aus Pixies et à Pavement. Eh bien, quatre à la suite comme dirait Julien Lepers. On était raccord sur tout. Enfin presque tout vu que moi Metallica je m’en battais les rouleaux, ce qui n’était pas le cas de Rodolphe.
-Sérieux t’aimes pas ? Même « Master of puppets » ?
-Bah c’est un peu violent quoi…
-Mais c’est ça qu’est bon !», m’expliqua-t-il avec un enthousiasme qui me sembla un peu inquiétant. Puis il me raconta une anecdote : il avait décidé de jouer de la basse en écoutant Enter Sandman sur le Black album.
-J’étais sûr que l’intro était jouée à la basse. Du coup j’ai tanné mes parents pour en avoir une. Bon finalement j’ai découvert que c’était James Hetfield qui jouait l’intro à la guitare, mais c’était trop tard, j’avais déjà cette basse sur les bras.
-Et ? », demandai-je comme s’il était sur le point de me révéler qui était derrière l’assassinat de Kennedy.
-Bah qu’est ce que tu voulais que je fasse ? Je m’y suis mis et puis voilà.
Il m’expliqua par la suite que ça n’était pas forcément une mauvaise stratégie de jouer de la basse.
-Personne ne veut en jouer. Tout le monde veut être à la guitare ou au chant. Rapport aux meufs. Du coup, plein de groupes cherchent un bassiste donc tu peux jouer un maximum si tu te démerdes pas trop mal. Bon le problème c’est qu’en ce moment tout le monde joue du reggae et de la funk. Marrant deux minutes mais bon moi c’est pas vraiment mon truc.
-Tu m’étonnes. Putain de reggae de merde.
-Je joue dans ce groupe là Listen to the Kangaroos. C’est un peu ça. Y a un clavier, des cuivres. Même un mec qui joue du Didgéridoo.
-Nan ? Sérieux ?
-Ouais, enfin il joue sur deux morceaux quoi.
-Et le reste du temps, il fait quoi ?
-Différentes choses, mais principalement il danse.
-Il danse ?
-Ouais, il danse.
-Genre comme les mecs qui accompagnent James Brown sur scène ?
-Euh, si tu veux…en moins structuré quand même.
Dubitatif, je me pointais à un concert de Listen to the kangaroos auquel Rodolphe m’avait invité.

lundi 17 octobre 2011

Le deuxième concert part 7 ou "Maverick et Iceman jouent au tennis"

-C’est moi », fis-je d’une voix tremblotante que mes camarades les plus perspicaces reconnurent comme étant la même que celle de la cassette.
-Pardon François ?
-C’est ma cassette. C’est moi qui chante.
-Eh bien, laissez moi vous dire qu’il n’y a pas de quoi se vanter. Bon vous viendrez me voir tous les deux à la fin du cours. »
Et nous y allâmes. Et elle nous colla. Et nous repartîmes penauds, moi humilié, Sabrina, dégoûtée de devoir rester le vendredi suivant de 16 à 17. Avant de la quitter, je lui posai une question qui me taraudait :
-Au fait, pourquoi t’as rigolé en écoutant la chanson ?
-Bah à cause de la voix ! », s’exclama-t-elle comme s’il s’agissait d’une évidence. Comprenant que je le prenais moyennement bien, elle rajouta : « C’est pas que c’est moche hein ? Juste, je m’attendais pas à ça ». Je me maudis intérieurement d’être le Jimmy Sommerville des Hauts-de-Seine. Je n’étais pas au bout de mes peines.
Flash forward : deux ans après, fin de la terminale, je me retrouve dans la voiture d’un pote de Rodolphe. « Who’s Rodolphe ? », se demandent les plus attentifs/curieux d’entre vous ? Le légendaire bassiste de Folks (je reviendrai sur les circonstances de notre rencontre plus tard, mais laissez moi d’abord finir cette anecdote). J’insère dans le lecteur intégré à la voiture la cassette sur laquelle figure notre dernière chanson « Over your eyes ». Le pote de Rodolphe n’est pas au courant que c’est moi qui chante dessus. Il écoute un moment puis se retourne vers son ami qui est assis sur la banquette arrière et lui dit :
-Putain, elle doit être bonne la chanteuse ! » Rodolphe sourit l’air malicieux.
-Bah à toi de voir », fait-il en me montrant du regard. Le gars se tourne vers moi et me dévisage. Au bout d’une bonne minute, la lumière semble se faire dans son cerveau embrumé.
-Nan !? » Sa dénégation exprime l’incrédulité la plus totale. « C’est toi qui… chante ? »
-Bah ouais.
-Vous vous foutez de ma gueule.
-Bah non.
-Vas-y chante pour voir », me demande ce type que je commence à trouver un peu lourd. Afin de pouvoir enfin changer de sujet de conversation, je m’exécute, doublant la voix qui s’échappe des enceintes de la voiture.
-Putain, j’y crois pas », fait le mec qui semble réellement ébranlé dans ses convictions. Il me regarde avec des reproches dans les yeux, comme si je lui avais joué un mauvais tour, et semble s’interroger sur la valeur d’un monde où vérité et artifice s’entremêlent de manière aussi inextricable.
-Je me sens…souillé », laisse-t-il finalement tomber, ce qui suscite l’irrépressible hilarité de Rodolphe.
Oui d’accord, Rodolphe, j’y reviens. Eh bien ce mec constitue la preuve vivante que jouer au tennis peut servir à autre chose qu’à se faire des tendinites à répétition. C’est en effet sur les courts d’Alexis Maneyrol que nous nous rencontrâmes. Nous étions, lui, moi ainsi qu’une poignée d’autres, connus comme…« les entraînés » (à prononcer d’une voix empreinte de stupeur et d’effroi). Cela signifiait qu’étant donné notre supériorité technique sur le tout-venant, nous bénéficions gratuitement de deux heures d’entraînement hebdomadaire supplémentaires. C’était un peu l’équivalent tennistique de Top Gun, un endroit où étaient réunis les éléments les plus prometteurs. J’étais Maverick (bien sûr ! Qui d’autre ?) et Rodolphe était Iceman, le mec un peu froid qui est le seul à pouvoir ravir la première place au héros. Bref, on ne pouvait pas se blairer.

vendredi 14 octobre 2011

Le deuxième concert part 6 ou "Etre souple rend-il plus susceptible d'être aimé?"

-« There’s a light in my street/ Sometimes that’s where we meet »
Ma voix résonna dans la classe. Heureusement je chantais relativement aigue (nous y reviendrons en temps et en heure), aussi ne craignais-je pas d’être reconnu par qui que ce soit. Mais j’avais quand même l’impression de me retrouver intégralement nu devant mes camarades, et, étrangement, je trouvais l’expérience assez désagréable. Lorsque Madame G... arrêta la cassette, je m’attendais au pire. Je n’avais pas suffisamment d’imagination.
-C’est bourré de fautes et l’accent est exécrable. « That’s where we meeeet » », fit-elle en accentuant le « eeee » de manière humiliante « pas « zat’s ouere oui mite ».
Putain d’accent. Je savais que c’était pas mon point fort. Mais c’est lorsqu’elle s’attaqua aux erreurs lexicales que je pris particulièrement cher.
-« I think you’re lovable/ Because you’re flexible » ? Très sincèrement, je me demande ce que l’ « auteur » de cette… « chanson », a voulu dire. En l’état, cela signifie : « je pense que tu es aimable/ parce que tu es souple ».
La classe éclata de rire (ce qui donna quelque chose comme « mouahahahah souple mouahaha »). J’étais vraiment indigné sur ce coup là. J’aurais voulu taper du poing sur la table et dire comme Balzac, « j’accuse » !!! Parce que, selon le Harrap’s de mon frère, « flexible » ça pouvait aussi vouloir dire « tolérant », pas uniquement « souple ». On aurait dès lors très bien pu traduire ces deux lignes de texte par « Je pense que tu es quelqu’un d’aimable / parce que tu es ouverte d’esprit » !!! Enfin c’est ce que j’avais voulu dire.
Bref, faisons la courte, tout le texte y passa, l’humiliation était déjà quasi totale lorsque que Mme G… porta le coup de grâce.
-Bon Sabrina, je vous mets un zéro : autant pour avoir écouté de la musique en classe que pour avoir écrit un texte aussi grammaticalement révoltant. Je vous conseillerais également de travailler un peu la justesse de la voix.
J’étais face à un sacré dilemme : ne rien dire et réduire à néant mes chances avec Sabrina ; me dénoncer et passer pour une brèle aux yeux de la classe.
Je me dénonçai. Oh j’entends d’ici persifler les plus malfaisants d’entre vous. Je me donnerais le beau rôle soi-disant. Je réduis à néant ces objections en précisant que, non, bien sûr, ce n’était pas la bravoure qui m’animait mais bien plutôt la conscience de voir s’éloigner à mesure que s’égrenaient les secondes ma découverte d’une sexualité où je n’étais pas le seul intervenant.

mercredi 12 octobre 2011

Le deuxième concert part 5 ou "L'inspecteur Harry rend son badge"

Dans la salle, les tables formaient un grand U. Installé quasiment en face de ma proie, je l’observai pendant tout le début du cours d’anglais, en attendant qu’elle se décide à écouter la chanson. Au bout de quelques minutes, Sabrina plaça avec discrétion une oreillette dans l’un de ses orifices auditifs et pressa la touche
« play ».
Au début rien, aucun expression sur son visage. Puis un sourire qui me désarçonna. Je mettais mes tripes sur la table et elle, elle souriait ! Qu’est-ce qu’elle avait de si drôle cette chanson ? Peut-être que c’était l’accent qui déconnait. Ou pire : elle avait compris que je parlais d’un lampadaire. Putain mais qu’est ce qui m’avait pris ! Un lampadaire ! Qu’est-ce qu’on en avait à foutre ! J’écartai cependant cette hypothèse en me rappelant que Sabrina avait en anglais à peu près le même niveau qu’un cul de jatte en 100 mètre haies. Conclusion : c’était la musique qui la faisait sourire. J’étais dévasté : je pensais avoir composé l’équivalent pop du requiem de Mozart alors que ma chanson avait la puissance harmonique du petit bonhomme en mousse. Je croyais avoir touché le fond lorsqu’elle éclata de rire. Notre prof la regarda.
-Eh bien, Sabrina, le present perfect vous fait rire ?
-Euh…
-A moins qu’il n’y ait une autre raison ? En ce cas, nous vous serions reconnaissants de partager avec nous l’objet de votre hilarité. Nous aimons rire nous aussi, n’est-ce pas ? », demanda-t-elle en s’adressant au reste de la classe de manière purement rhétorique.
-Oui madame », fit une certaine Lila avec sur le visage le grand sourire du collabo venu dénoncer des voisins juifs au siège de la gestapo.
-Bah, non y a rien », tenta piteusement Sabrina.
-Mais dites moi, vous avez un écouteur dans l’oreille ! Voilà, tout s’explique ! Donnez-moi votre baladeur », dit-elle d’un ton ne supportant pas le concept même de contradiction.
Avec la résignation d’un lieutenant un peu atypique jetant sa plaque sur le bureau d’un commissaire qui lui reproche de n’en faire qu’à sa tête (« Le maire veut votre peau Harry ! »), Sabrina posa le walkman sur sa table et me jeta un regard désespéré. Putain ! Mon Aiwa autoreverse ! Notre prof s’en saisit et en extirpa la cassette.
-Eh bien voyons ce qui vous faisait tant rire.
-Oh oui !
-Lila, je ne vous ai rien demandé.
-Pardon madame.
La prof se dirigea alors vers l’antiquité qui tenait lieu de lecteur de cassette et y inséra « Maquette n°3 », qui comme sont nom l’indiquait clairement, était le troisième volume de mes œuvres. Le Niagara me coulait entre les épaules.

lundi 10 octobre 2011

Le deuxième concert part 4 ou "Du rôle joué par le lampadaire dans la stratégie séductionnelle"

Je passai deux ans à peaufiner dans la pénombre de ma chambre (c’est juste pour le style : j’avais un halogène comme tout le monde) mon art de songwriter. Je composai notamment une magnifique chanson en l’honneur du lampadaire qui brillait sur les bords de la nationale visible de ma fenêtre. Ça commençait par « There’s a light in my street ». Merde une rime en « eet ». Finalement, je m’en tirai avec « There’s a light in my street/sometimes that’s where we meet ». Ouais pas ouf. Mais bon on s’en foutait, de toute façon personne ne cherchait à comprendre les paroles du moment que ça rimait et qu’elles étaient chantées avec un minimum de conviction. J’enregistrai la rythmique et le chant puis plaçai par dessus un solo ressemblant étrangement à celui de « Stairway to Heaven » appris quelques semaines auparavant.
Le lendemain, je commençai les cours à dix heures. Dans le bus 171 qui m’emmenait à un rythme de gastéropode sur les lieux du crime, j’écoutai en boucle ma chanson et j’avais réellement l’impression d’être un miracle de l’évolution, une sorte de croisement parfait entre Paul McCartney (pour l’inventivité mélodique) et Phil Spector (la qualité de la production). Une fois devant la classe, je rencontrai cette fille, Sabrina, sur laquelle j’avais des vues inavouables. Comme elle ne se décidait pas à me demander ce que j’écoutais, je hochai la tête ostensiblement en simulant un intense plaisir auditif. Au bout de longues minutes, elle finit par me poser la question tant attendue :
-T’écoutes quoi ?
-Rien de spécial », fis-je. Je remarquai qu’elle allait changer de sujet aussi ajoutai-je précipitamment « Juste un truc que j’ai enregistré »
-Une chanson tu veux dire ? », me demanda-t-elle, soupçonneuse.
-Ouais, une chanson », répondis-je avec détachement.
-Je peux écouter ? »
« Enfin ! » me dis-je.
-Je sais pas. C’est pas complètement fini », minaudai-je.
-Allez, sois sympa », insista-t-elle, tombant dans le piège que je lui avais vicieusement tendu.
Sabrina et moi ça avait mal commencé. Ça faisait trois mois que je lui tournai autour et lors d’une soirée, j’avais tenté le coup un peu pourri du « Ton père est un voleur : il a pris les étoiles dans le ciel pour les mettre dans tes yeux ».
-Ton père est un voleur…
-Ah ouais ? Bah ta mère c’est une pute !, me cria-t-elle avant de quitter la salle en faisant plein de bruit avec ses talons. Quand je la revis le lundi suivant, je lui expliquai ma maladresse et sa méprise. Elle crut au début que je me moquais d’elle puis finalement se rangea à mes arguments et sembla me pardonner.
Cette chanson constituait la première tentative de rapprochement depuis cet épisode malheureux. Mais au moment où elle inséra les écouteurs dans ses oreilles (pas grandes les oreilles mais petits les écouteurs), la cloche sonna pour signifier le début de notre cours d’anglais. Elle me dit alors en me tendant le walkman :
-J’écouterai après.
Il me fallait la jouer serrée. Si je la laissais filer maintenant, il y avait peu de chances 1) qu’elle écoute ma chanson, 2) qu’elle tombe amoureuse de moi, 3) que nous ouvrions un jour un compte commun. Aussi lui rendis-je le walkman ;
-Garde le, t’auras qu’à l’écouter en cours.
-En cours ? C’est chaud quand même.
Je tentai de la convaincre qu’au contraire, il n’y avait rien de plus froid : il suffisait d’écouter avec un seul écouteur tout en dissimulant ce dernier derrière une main judicieusement placée. Elle me regarda l’air de se demander si je me foutais de sa gueule, décida que non puis, après avoir hésité un bon moment, mit le walkman dans la poche de son blouson et entra en classe.

vendredi 7 octobre 2011

Le deuxième concert part 3 ou "comment apprendre l'harmonie avec MacGyver"

Mais pourquoi Dieu m’avait-il retiré ce dont je pensais avoir le plus besoin pour le donner à mon frère qui ne l’utilisait que pour frimer devant ses potes en chantant les notes de « Money for nothing ». J’étais courroux. Cependant, lumière dans les ténèbres, j’appris qu’il était possible d’acquérir, à force d’entraînement, l’oreille relative, ce qui constituait une sorte de consolation. Mon prof (toujours pourvu de son appendice capillaire répugnant) m’expliqua la chose avec un brin de condescendance : les sous-êtres comme moi pouvaient améliorer leur oreille en s’efforçant de chanter les notes d’une mélodie au moins une heure par jour en s’accompagnant au piano. A peine rentré chez moi, je me saisis de mon livre de partition des Beatles et m’exerçai sur « Yesterday » : au lieu de chanter « Yesterday, all my troubles seemed so far away », je faisais « la-sol-sol…si-do dièse-ré dièse-mi-fa dièse-sol-fa dièse-mi-mi ». Bon ces saloperies de dièses me foutaient un peu dedans, vu que dans ce cas précis une note était censée correspondre à une syllabe. N’empêche, si je souffrais de cet exercice un peu rébarbatif, mon entourage en était la principale victime. Mes parents et mon frère en premier lieu. Ils m’entendaient en effet chanter le nom des notes de toutes les mélodies qui me tombaient sous l’oreille. Genre, quand le générique de MacGyver retentissait, je me mettais à faire « do do do do do do do si…fa la sol…do do si sol la sol fa » etc etc. Généralement, mon frère tentait de se contenir un moment puis craquait et me lançait le premier objet contendant qui traînait aux alentours. Mes camarades de classe n’étaient pas non plus épargnés par cette manie : ainsi cherchant à retrouver de tête le nom d’une note, je me mettais subitement, sans avertissement préalable, à crier « LAAAAAAAAAAA !! ».
-Putain faut que t’arrête ça », me fit Vincent une fois tout en se palpant la poitrine, cherchant vraisemblablement à réamorcer l’afflux sanguin dans le ventricule gauche.
-Quoi donc ? », répondis-je innocemment.
-Tes cris là ! Sérieux ça me stresse, on sait jamais quand ça va arriver ! Je te promets ça me bouffe ! » J’avais beau porter une amitié franche et sincère à Vincent, je me serais néanmoins entraîné de plus belle si j’avais vu que l’exercice portait ses fruits. Mais au bout d’un mois je me livrai à une sorte de test. Je me mis dos au piano, demandai à mon père de me donner une note de référence (le « laaaaaaaaaaa ») puis après un instant de jouer une note au hasard.
-Réééééé ? », tentai-je timidement ?
-Non, c’est un si », fit mon père implacable.
Me concentrant à m’en faire péter les sourcils, je demandai à mon géniteur de renouveler l’exercice.
-Sooool ?
-Ré.
-Putain ! Sa mère la p...
-Eeeeeeh !!!!!!
-Siiiii ?
Sur dix notes, pas une de bonne. Incroyable. Même en m’en remettant à l’aveugle hasard, j’aurais dû tomber au moins en trouver une ! Mais non. Je me plantais avec une régularité métronomique.
C’est ainsi la mort dans l’âme qu’un mois après avoir commencé à m’entraîner, je renonçai à l’espoir d’un jour pouvoir me la péter sur Dire Strait (« Money for nothing !!!!! »).

mercredi 5 octobre 2011

Le deuxième concert part 2 ou "Est-il rédhibitoire d'aimer Joe Satriani?"

Quand Réticulum mit un terme à son activité, je me retrouvai seul. Dans le froid. A attendre que ma mère vienne me chercher en AX. Je lui avais en effet demandé assistance pour transporter le synthé que les autres avaient, de manière incompréhensible, accepter de me céder pour la somme modique de cent francs chacun (ouais des francs). A ma génitrice qui me demandait comment j’avais obtenu la chose, je me montrai extrêmement laconique, évoquant un ami fictif qui pour d’obscures raisons m’avait laissé l’instrument en dépôt.
C’est à peu près à cette époque que je me mis à réaliser mes premiers enregistrements. Ne possédant pour tout matériel que deux lecteurs cassettes qui faisaient également office d’enregistreurs, mes productions étaient quelque peu rudimentaires : j’enregistrais guitare et chant sur un des lecteurs, puis je passai la bande et enregistrai une seconde guitare à l’aide du second lecteur et ainsi de suite… Bon à chaque étape, il y avait du souffle en plus et au final, on avait l’impression que je jouais à côté d’un sèche cheveux géant mais j’étais quand même super fier. Je me familiarisais également avec le synthétiseur. Je me disais que c’était l’occasion de mettre à profit les dix années de cours de piano hebdomadaires qui m’avaient été iniquement imposés par le parentariat. Du coup je foutais des nappes de cordes synthétiques un peu partout dans mes chansons qui les faisaient sonner comme le fruit d’un improbable croisement entre Neil Young et Kraftwerk... Bon ok, plutôt entre Yves Duteil et Vangelis.
C’est également à cette période que je commençai à développer une sorte d’obsession pour la notion d’ « oreille absolue ». Pour les novices, on dit de quelqu’un qu’il a l’oreille relative quand il est capable, lorsqu’on lui donne une note de référence, de dire le nom des autres notes d’une mélodie. L’oreille absolue, c’est le degré au-dessus : la personne qui en est pourvue n’a pas besoin de note de référence pour donner le nom des autres notes. Il y a bien sûr une troisième possibilité qui consiste à être incapable de donner le nom d’une note même lorsqu’on vous a indiqué une note de référence. On appelle ça avoir une oreille de merde. C’est mon cas.
Pour ma défense, j’exagère un peu. Il n’y a en fait pas vraiment de rapport entre le fait de savoir reconnaître le nom des notes et les qualités musicales d’un artiste. J’ai par exemple lu que Frank Black, Black Francis, enfin le leader des Pixies, n’était pas foutu de deviner le nom d’une note, même si on lui en indiquait douze autres. Il sait reproduire, en tâtonnant un peu, ce qu’il entend dans sa tête et ça lui suffit amplement. Par contre, mon prof de guitare, qui avait une queue de cheval dégueulasse et était fan de Joe Satriani, possédait l’oreille absolue. Et bien devinez qui a écrit « Where is my mind »?
Enfin il ne faut pas caricaturer non plus. Ca peut être quand même vachement pratique de pouvoir identifier comme ça, en un éclair, à quelle note on a affaire, ne serait-ce que pour pouvoir improviser avec plus de facilité. Ce qui me rendait totalement fou c’était que mon frère, qui ne faisait pas de musique possédait cette salope d’oreille absolue ! Je jouais au synthé une ligne et il chantait les notes ! Il m’expliqua un jour qu’il entendait carrément le nom des notes, genre je jouais un la, il entendait « laaaa », un si, « siiii ».
-Sérieux t’entends pas ? « Siiiiii » », faisait-il de manière extrêmement irritante.
A compter de ce jour, je le regardai différemment, un peu comme s’il m’avait dit qu’il entendait les voix de personnes défuntes (« I see dead people !!! »).

dimanche 2 octobre 2011

Le deuxième concert Part I ou « De l’importance du cor de chasse dans le rock indé »

« Reticulum endoplasmique » n’était plus. La formation avait sombré dans le non-être telle une comète disparaissant dans la nuit. Les raisons de ce triste dénouement ? A la fois nombreuses et incertaines. Etions-nous trop en avance sur notre époque avec nos structures de chansons complexes (couplet refrain couplet refrain pont refrain) ? C’est possible. Nietzsche n’a-t-il pas écrit en se touchant la moustache d’obscène manière « certains naissent posthumes » ? Le facteur humain a également joué un rôle primordial. Dit autrement, on ne pouvait plus se blairer. Bon, ok, ça n’était pas aussi simple que ça. Si j’avais dû, à l’époque, décrire les membres de Reticulum, j’aurais dit « David : bon guitariste mais ultra relou ; bassiste : pas méchant mais quel est son prénom déjà ?; Michael : très sympa, très mauvais ». Bref, des tensions apparurent, surtout entre David et moi et ça ruinait un peu l’ambiance. C’est dans un tel contexte que nous eûmes la riche idée de demander à un mec qui était en anglais au lycée de Sèvres avec moi de jouer du saxo dans le groupe. A ce jour, je me demande encore si ce n’était pas une sorte d’acte manqué. Comment expliquer sinon qu’une telle idée ait germé dans mon esprit, quand cet instrument ne m’évoquait que les solos dégueus des morceaux plein de réverb des années 80. Rajoute à ça que ce mec, Boris, c’était pas vraiment Macéo Parker. A tel point qu’un jour, je lui demandai de rendre son jeu un peu plus souple. Plus groovy.
-Plus groovy ? », me demanda-t-il en faisant preuve d’une réelle curiosité.
-Bah ouais ? Tu vois l’idée d’amener un sax dans Réticulum c’était de mélanger funk et rock indé. Et toi », j’hésitai un instant avant de dire ce que je pensais puis je me lançais « bah on dirait plus du cor de chasse.
Il ne le prit pas mal du tout. Au contraire, il abonda dans mon sens.
-Ce n’est pas faux ce que tu dis. Si tu veux tout savoir, moi ce qu’on m’a appris à jouer au conservatoire, c’est du saxophone classique. Or les œuvres majeures pour saxophone classique ont souvent été composées à l’origine pour d’autres instruments. Notamment pour le cor de chasse.
Du « saxophone classique » ? Il se foutait de ma gueule ou quoi ? Je l’observai un moment puis décidai que non, il était sérieux. Je n’avais jamais entendu parler de ça. Du saxo classique. Putain. C’était bien ma chance.
J’aurais dû immédiatement trancher dans le vif et mettre un terme à notre collaboration. Mais que voulez-vous, je suis un gentil, je n’aime pas torturer les faibles alors, imaginez, un saxophoniste classique…
En écrivant ça je me rappelle que l’effectif de Réticulum est monté un moment (pas longtemps mais quand même) à six musiciens. On avait en effet recruté sur un coup de tête un mec, Grégoire, qui jouait du clavier. Enfin, jouait : « jouait » quoi. Ce gars était blindé de thune. Il s’était pointé à sa première répète avec un synthé Roland qui avait dû coûter un bras chacun à ses parents. Moi je m’étais dit que pour les avoir convaincus de lui offrir un instrument comme ça, il devait assurer un minimum. Erreur là encore : il faisait des solos avec l’index de la main droite, ce qui 1) lui donnait l’air con, 2) limitait un peu l’étendue de son expression artistique. Bon celui là, en plus d’être mauvais, il était désagréable. Il critiquait tout et, en premier lieu, l’endroit où nous répétions. Michael habitait dans un immeuble à Sèvres et sa mère possédait un box pour garer une voiture, mais pas le véhicule qui allait avec. Du coup, on jouait là, enfin quand le gardien psychopathe ne venait pas couper le courant pour nous faire taire. Franchement c’était très bien, rien à dire, une vraie aubaine (un peu aussi la raison pour laquelle on passait sous silence les problèmes rythmiques de notre hôte). Bah au Grégoire, ça ne lui allait pas.
-Ca caille putain ! », fit-il lors de la première répète. J’avais envie de lui dire « ouais c’est le principe de l’hiver » ce qui aurait été particulièrement bien envoyé car on était en janvier. Mais bon je le laissais dire. Par contre quand il a déclaré que je chantais un peu comme une fiotte, je n’ai guère goûté l’homophobie de la réflexion. Je lui fis part de ce ressentis de manière un peu vive (je mentionnai notamment une sorte de parenté artistique le liant à Charlie Oleg) et il quitta la répétition en claquant la porte (ou plutôt en essayant de la claquer vu qu’elle s’ouvrait par le haut, ce qui rendait la chose ardue). On mit un moment à prendre conscience d’un élément majeur : ce con avait laissé son Roland dans le garage.