vendredi 28 octobre 2011

East 17 Vs Manowar et de la supériorité des concerts sur les matchs de foot d'un point de vue séductionnel

Restait à recruter le batteur. Il nous fallait le meilleur, notre Dave Grohl à nous. J’eus une idée.
-Tu vois qui c’est Julien. Le grand mec barraque qu’était chez Fred tout à l’heure ?
-Julien… », fit-il en se caressant le menton mentalement. « Ah ouais ! Deuf tu veux dire ! »
C’était effectivement son surnom, j’avais oublié pourquoi.
-Ouais, voilà, Deuf. Bah je crois qu’il prend des cours de batterie.
-Bah pourquoi pas. Il est super marrant ce mec. »
Effectivement Julien était le gars le plus drôle que je connaissais et c’était l’une des raisons pour lesquelles j’avais proposé son nom. Mais pas uniquement. C’était également parce que, sans l’avoir jamais vu jouer de batterie, je savais qu’il avait un putain de sens du rythme. Ca, j’avais pu le constater en cours de musique au collège, dans la classe de Madame Lanus (« Ca se prononce Lanu ! Sans le –s !», tentait-elle vainement de nous convaincre à chaque début d’année). L’un des seuls devoirs qu’on devait rendre dans ce cours, c’était un exposé sur un artiste ou un groupe musical qu’on appréciait. Ca partait d’un bon sentiment de la part de Trouduc. Malheureusement, ça signifiait également qu’on était obligé de subir les goûts de merde des fans de East 17, ou, à l’autre bout du spectre, ceux des aficionados de Manowar (groupe de hard surtout connu pour avoir dépassé lors d’un concert le volume sonore d’un Airbus au décollage). Quoi qu’il en soit, bien souvent Julien accompagnait les extraits de morceaux en tapant avec sa règle et un crayon et j’étais toujours plutôt épaté par sa manière, non seulement d’être en rythme, mais également de rajouter des petites fioritures qui laissaient deviner un talent de batteur qui, bien qu’inexploité, n’en demeurait pas moins réel.
Nous retournâmes donc à la soirée pour informer Julien aka Deuf de l’honneur qui lui était fait, celui de pouvoir auditionner pour la place de batteur dans un groupe sans nom et sans autre répertoire qu’une chanson sans parole mais avec un titre. Il fut enthousiaste.
-Chais pas trop les mecs. Ca serait pour jouer toutes les semaines ?
-Bah dans l’idéal ouais.
-Et quand ?
-Parce que le week-end j’ai souvent foot et le mardi soir, j’ai foot aussi.
-Putain mec, j’en reviens pas ». J’étais effectivement dépité mais pas dénué de ressources. « T’as une copine ou pas ?
-Bah euh, c’est un peu intime comme question…
-bon ok, ça veut donc dire que t’en as pas. » Sans laisser place aux dénégations, j’enchaînai. « Y a souvent des filles qui viennent voir vos matchs au stade ?
-Bah euh non, pas souvent.
-Par contre t’es déjà allé à un concert d’un de ces groupes de reggae de merde là, t’as vu le nombre de meufs qu’il y a à chaque fois ?
-Plus qu’au foot c’est sûr » Je vis son œil s’illuminer. Je devinais que le poisson était ferré et qu’il suffisait désormais de le laisser sauter de lui-même dans la barque. Ce qu’il fit deux jours plus tard.

mercredi 26 octobre 2011

Babibol et Yaourt: de l'importance des produits laitiers

Il n’avait pas menti, il habitait bien à dix minutes et possédait bien une maison pourvue d’une cave. Nous nous y engouffrâmes sans passer par la case « parents ». La pièce était bourrée ras la gueule d’instruments : une batterie, deux trois guitare, des amplis de différentes tailles, des congas… Rodolphe m’expliqua que, bien souvent, les gars avec lesquels il jouait laissaient leurs instruments sur place pour éviter d’avoir à se les taper dans les transports.
-Ils s’entraînent comment alors ?
-Voilà, t’as mis le doigt sur le problème.
Il sortit une guitare acoustique d’une housse recouverte de poussière.
-C’est une Takanime.
-Une Takamine tu veux dire.
-Nan, nan, t’as bien entendu, une Takanime. C’est une copie qui vient d’Asie. Un peu comme le Babibol chez Leader Price.
-Babibol ?
-Ouais, le fromage.
Il me passa la guitare et me fit signe de m’asseoir dans un fauteuil qui avait connu des jours meilleurs. Bon, c’était le moment de vérité. Si la chanson ne lui plaisait pas, j’aurais le droit à un « c’est sympa » et on passerait à autre chose. Or je ne sais pas si je l’ai déjà dit mais j’avais bien envie de jouer avec ce mec. Il assurait. Je lui avais dit vrai : il y avait une chanson dont j’était plutôt satisfait. Seul problème, je n’avais pas de texte et me contentait de placer un ou deux mots identifiables à des endroits stratégiques (souvent à la fin des phrases), yaourtant le reste. Ca donnait un truc comme : « gnafil love moue tonight/ stepliz youcan allright ». Je pris la température en lui demandant s’il parlait anglais.
-Bah un peu. « I speak a few » quoi, comme tout le monde.
Rassuré je me lançais. Et hop couplet, tout en retenu, genre mystérieux, trois accords mais bien placés. Refrain en vue, « over your eyyyyyes » (à qui appartenait ces yeux et par quoi étaient-ils recouverts ? Enigme). Puis couplet refrain pont refrain.
-Elle s’appelle comment ? », me demanda-t-il lorsque ma voix cessa de rebondir sur les murs en béton.
-« Over your eyes » », dis-je aplomb, taisant le fait que le titre avait deux minutes d’âge.
-Bah franchement, elle tabasse.
Une vague de chaleur me parcourut des pieds à la tête. « Reconnaissance », j’écris ton nom en lettres capitales. Ca me faisait vraiment plaisir, comme un chien auquel on gratte le ventre avec tendresse. Avant ça, mon seul public c’était ma mère. Quand je trouvais une chanson, j’allais la voir et je la lui jouais dans la cuisine. Si elle en pensait du bien, elle disait généralement « Elle a quelque chose celle là ». Si au contraire, ça ne lui parlait pas plus que ça, elle s’en sortait avec un « Faut que je la réécoute ». La plupart du temps, elle ne faisait que confirmer ce que je pensais de mes morceaux. Difficile de tromper une fan de Nirvana et de Paolo Conte.
-Ah ouais t’aimes bien ?
-Carrément mec. Faut qu’on joue ensemble y a pas de doute. Enfin, si ça te dit.
-Bah écoute », fis-je en prenant l’air de songer à cette éventualité pour la première fois. « Ouais, on pourrait essayer.

lundi 24 octobre 2011

Le deuxième concert part 10 ou "Le requin passe à l'attaque"

J’eus comme une sorte d’éclair de lucidité et je devinai que cet instant allait s’avérer crucial dans ma vie de musicien. Je voulais jouer avec ce mec, il assurait. Mais comment le convaincre ? Etre franc comportait des risques. En même temps il allait bien falloir que je lui dise la vérité à un moment ou à un autre. La seule alternative possible était celle des lâches, des pleutres, des couards. Elle consistait à simuler l’enthousiasme sans aucune considération pour le concept de franchise. Je n’hésitai pas un seul instant.
-Wouahoh mec ! C’était carrément bien ! La chanson sur le shit et tout… Waouhaoh !
-Te fatigue pas, c’était à chier.
-Oh mec ! Nan, carrément pas ! On peut pas dire ça…
-Si si on peut et on va pas se priver. Putain en plus j’étais juste à côté des cuivres, j’ai bien morflé.
-Bah, c’est sûr qu’il y a des trucs à améliorer mais enfin quand même, 116 voix quoi !
-Mouais…
-Bon après je t’ai dit le reggae c’est pas trop ma came. Mais « dans le genre », c’est loin d’être ridicule.
Je nageais autour de ma proie en cercles concentriques : j’étais peu à peu passé de « génial » à « loin d’être ridicule » ; encore deux minutes et j’évoquerais pernicieusement la possibilité pour Rodolphe de se consacrer à une aventure artistique qui lui conviendrait mieux. Je m’apprêtais à passer à l’attaque lorsqu’il me coupa l’herbe sous le pied.
-Tu veux pas monter un groupe toi ?
-Monter un groupe ? Ouais, c’est pas con comme idée. Faudrait que je réfléchisse.
-Bon, tu me diras. Tu veux venir boire un coup avec nous ?
La perspective de trinquer avec le didgéridiste plein de locks me donnant des hauts le cœur, je déclinai poliment l’invitation. Si nous avions été cinq ans plus tard, nous aurions échangé nos numéros de portable. Mais comme on était en plein en 1996 et qu’on n’était pas suffisamment cons pour avoir des tatoos, on se communiqua nos fixes.
Résultat, deux semaines plus tard, alors que je ne l’avais pas croisé depuis le concert, Rodolphe téléphona chez moi. Comme on était un peu en pointe niveau technologie, nous disposions d’un téléphone sans fil que ma mère m’apporta dans ma chambre où j’étais en train de lire un roman de Stephen K… de Baudelaire.
-Ouais ?
-C’est Rodolphe.
-Salut ça va ?
-Ca va et toi ?
-Ouais ça va.
-Y a une soirée chez ce mec, Fred, qu’habite près de chez moi samedi. Ca te tente ? On pourrait rediscuter de cette histoire de groupe.
J’opinai verbalement et le week-end venu, je me rendis dans le pavillon du dit Fred, sur les hauteurs de Sèvres. J’y retrouvai Rodolphe mais aussi Vincent et d’autres amis comme Julien et Laurent avec lesquelles il faisait bon rire. Ce que nous fîmes. Nous bûmes également un peu. Et nous reparlâmes, Rodolphe et moi, de cette idée de procéder à la création d’une entité musicale totalement novatrice, sous la forme révolutionnaire d’un trio guitare basse batterie.
-T’aurais des chansons à me montrer ? », me demanda-t-il.
-J’en ai une dont je suis assez content ouais…
-Il nous faudrait une guitare quoi », fit-il en regardant autour de lui. « Tu sais quoi ? J’habite à dix minutes. On peut aller vite fait chez moi et tu me la montres dans ma cave »
Je le regardai d’un air soupçonneux, puis compris qu’il me parlait de la chanson.
-Ah… euh, ouais… carrément on peut faire ça.
-Ok, on y va.

vendredi 21 octobre 2011

Le deuxième concert Part 9 ou "Pour la prohibition du didgéridoo, des dreadlocks et de la musique militaire"

C’était dans le cadre d’un de ces tremplins organisé par des gens peu scrupuleux qui n’hésitent pas à tirer parti de la naïveté des groupes amateurs auxquelles ils ont affaire. Je crois que le système existe toujours. En tout cas à l’époque le deal c’était : on te fait jouer dans une bonne salle mais en contrepartie tu t’engages à ramener tant de potes à tant la place. Si tu n’y parviens pas, bah tu payes la différence. Enthousiastes à l’idée de se produire dans des endroits assez connus, les groupes disent banco et font chier la moindre personne qui passe dans leur champ de vision durant les deux semaines précédant le concert pour éviter de lâcher eux-mêmes la thune.
Bref, Listen to the Kangaroos jouait cette fois là au New Morning. Avant eux, deux groupes dont je ne me rappelle plus le nom et encore moins la musique. Finalement ça a été le tour de Rodolphe et de ses collègues. Première chanson : ô surprise, un hymne à la légalisation du cannabis avec, en prime, une vision toute en nuance de cet estimable corps de métier qu’est la police nationale. Je crois sincèrement avoir entendu le chanteur faire rimer « flic » avec « colique » (« alcoolique » constitue une autre possibilité). En résumé, les mecs étaient pas mal engagés. Et cela, autant politiquement qu’artistiquement comme le prouva la deuxième chanson. Cette dernière fut précédée d’une intro du sus-cité joueur de didgéridoo, un petit blanc à dread chiasseuse qui semblait déterminé à apporter la preuve que, question capacité pulmonaire, bah il se plaçait là. Cinq bonnes minutes passées à l’entendre produire des bruits situés à mi-chemin entre l’agonie de la vache atteint de la maladie de Creutzfeld Jacob et le barrissement d’un éléphant se faisant rouler sur la patte par une jeep. Puis il se mit d’accord avec lui-même pour répéter un thème de trois notes en boucle sur lequel vint se poser une guitare rythmique dont le propriétaire avait visiblement une idée claire de ce que devait être le reggae : une musique martiale qui se rapprochait plus de la bourrée que du calypso. Finalement, je regardais Rodolphe qui se tenait à une extrémité de la scène comme s’il se réservait le droit de se barrer à n’importe quel moment, la situation dût-elle empirer au-delà du supportable. J’essayais de me concentrer sur son jeu et force me fut de constater qu’étant données les circonstances, il s’en sortait plutôt bien, réussissant parfois même à me faire oublier par l’ingéniosité d’une ligne qu’il fournissait la nécessaire structure d’un édifice monstrueux.
Vint la fin de leur prestation. Comme pour les autres groupes, le public fut appelé à voter à main levée. Par souci d’intégration je levai ma mimine comme tous les amis qui se trouvaient là, avec l’impression de cautionner un acte un peu honteux sans réellement pouvoir faire autrement. Là, très sérieusement, un mec de l’organisation fit semblant de compter les mains et déclara d’un ton qui ne laissait pas place à la discussion : « 116 ! ». Avec un tel score, Listen to the kangoroos remportait haut la main le match qui les opposait aux autres formations et gagnait un ticket pour jouer à l’Elysée Montmartre.
J’attendis que Rodolphe sorte des coulisses pour le saluer avant de me retirer.
-Alors ? T’as trouvé ça comment ?

mercredi 19 octobre 2011

Le deuxième concert part 8 ou "Julien Lepers meets Master of Puppets"

Toujours est-il qu’au bout de quelques années, il arrêta le tennis, précédant de trois ou quatre mois la fin de ma propre carrière. Je n’avais plus entendu parler de lui jusqu’à mon arrivée au lycée de Sèvres où je le retrouvai. N’ayant aucune raison de lui parler, je m’en dispensai. Jusqu’au jour où on se retrouva dans la même soirée. On commença à discuter un peu par politesse puis on s’aperçut qu’on avait des goûts musicaux en commun : un peu comme dans ce film, « Boogie Nights » où deux personnages croient avoir trouvé l’âme sœur en découvrant qu’ils aiment tous les deux les couchers de soleil, on avait l’impression d’être les premiers à adorer les Beatles.
-Et « I am the walrus »? T’aimes « I am the Walrus »?
-Carrément!
-Et « A day in the life »? Tu vois laquelle c’est ? Celle qu’a plusieurs parties là…
-Clair !
« Clair ». Profondeur de l’analyse. Après les Beatles, on est passé à Nirvana (« Sérieux ? Toi aussi t’aimes « Smells like teen spirit » ? ») puis aus Pixies et à Pavement. Eh bien, quatre à la suite comme dirait Julien Lepers. On était raccord sur tout. Enfin presque tout vu que moi Metallica je m’en battais les rouleaux, ce qui n’était pas le cas de Rodolphe.
-Sérieux t’aimes pas ? Même « Master of puppets » ?
-Bah c’est un peu violent quoi…
-Mais c’est ça qu’est bon !», m’expliqua-t-il avec un enthousiasme qui me sembla un peu inquiétant. Puis il me raconta une anecdote : il avait décidé de jouer de la basse en écoutant Enter Sandman sur le Black album.
-J’étais sûr que l’intro était jouée à la basse. Du coup j’ai tanné mes parents pour en avoir une. Bon finalement j’ai découvert que c’était James Hetfield qui jouait l’intro à la guitare, mais c’était trop tard, j’avais déjà cette basse sur les bras.
-Et ? », demandai-je comme s’il était sur le point de me révéler qui était derrière l’assassinat de Kennedy.
-Bah qu’est ce que tu voulais que je fasse ? Je m’y suis mis et puis voilà.
Il m’expliqua par la suite que ça n’était pas forcément une mauvaise stratégie de jouer de la basse.
-Personne ne veut en jouer. Tout le monde veut être à la guitare ou au chant. Rapport aux meufs. Du coup, plein de groupes cherchent un bassiste donc tu peux jouer un maximum si tu te démerdes pas trop mal. Bon le problème c’est qu’en ce moment tout le monde joue du reggae et de la funk. Marrant deux minutes mais bon moi c’est pas vraiment mon truc.
-Tu m’étonnes. Putain de reggae de merde.
-Je joue dans ce groupe là Listen to the Kangaroos. C’est un peu ça. Y a un clavier, des cuivres. Même un mec qui joue du Didgéridoo.
-Nan ? Sérieux ?
-Ouais, enfin il joue sur deux morceaux quoi.
-Et le reste du temps, il fait quoi ?
-Différentes choses, mais principalement il danse.
-Il danse ?
-Ouais, il danse.
-Genre comme les mecs qui accompagnent James Brown sur scène ?
-Euh, si tu veux…en moins structuré quand même.
Dubitatif, je me pointais à un concert de Listen to the kangaroos auquel Rodolphe m’avait invité.

lundi 17 octobre 2011

Le deuxième concert part 7 ou "Maverick et Iceman jouent au tennis"

-C’est moi », fis-je d’une voix tremblotante que mes camarades les plus perspicaces reconnurent comme étant la même que celle de la cassette.
-Pardon François ?
-C’est ma cassette. C’est moi qui chante.
-Eh bien, laissez moi vous dire qu’il n’y a pas de quoi se vanter. Bon vous viendrez me voir tous les deux à la fin du cours. »
Et nous y allâmes. Et elle nous colla. Et nous repartîmes penauds, moi humilié, Sabrina, dégoûtée de devoir rester le vendredi suivant de 16 à 17. Avant de la quitter, je lui posai une question qui me taraudait :
-Au fait, pourquoi t’as rigolé en écoutant la chanson ?
-Bah à cause de la voix ! », s’exclama-t-elle comme s’il s’agissait d’une évidence. Comprenant que je le prenais moyennement bien, elle rajouta : « C’est pas que c’est moche hein ? Juste, je m’attendais pas à ça ». Je me maudis intérieurement d’être le Jimmy Sommerville des Hauts-de-Seine. Je n’étais pas au bout de mes peines.
Flash forward : deux ans après, fin de la terminale, je me retrouve dans la voiture d’un pote de Rodolphe. « Who’s Rodolphe ? », se demandent les plus attentifs/curieux d’entre vous ? Le légendaire bassiste de Folks (je reviendrai sur les circonstances de notre rencontre plus tard, mais laissez moi d’abord finir cette anecdote). J’insère dans le lecteur intégré à la voiture la cassette sur laquelle figure notre dernière chanson « Over your eyes ». Le pote de Rodolphe n’est pas au courant que c’est moi qui chante dessus. Il écoute un moment puis se retourne vers son ami qui est assis sur la banquette arrière et lui dit :
-Putain, elle doit être bonne la chanteuse ! » Rodolphe sourit l’air malicieux.
-Bah à toi de voir », fait-il en me montrant du regard. Le gars se tourne vers moi et me dévisage. Au bout d’une bonne minute, la lumière semble se faire dans son cerveau embrumé.
-Nan !? » Sa dénégation exprime l’incrédulité la plus totale. « C’est toi qui… chante ? »
-Bah ouais.
-Vous vous foutez de ma gueule.
-Bah non.
-Vas-y chante pour voir », me demande ce type que je commence à trouver un peu lourd. Afin de pouvoir enfin changer de sujet de conversation, je m’exécute, doublant la voix qui s’échappe des enceintes de la voiture.
-Putain, j’y crois pas », fait le mec qui semble réellement ébranlé dans ses convictions. Il me regarde avec des reproches dans les yeux, comme si je lui avais joué un mauvais tour, et semble s’interroger sur la valeur d’un monde où vérité et artifice s’entremêlent de manière aussi inextricable.
-Je me sens…souillé », laisse-t-il finalement tomber, ce qui suscite l’irrépressible hilarité de Rodolphe.
Oui d’accord, Rodolphe, j’y reviens. Eh bien ce mec constitue la preuve vivante que jouer au tennis peut servir à autre chose qu’à se faire des tendinites à répétition. C’est en effet sur les courts d’Alexis Maneyrol que nous nous rencontrâmes. Nous étions, lui, moi ainsi qu’une poignée d’autres, connus comme…« les entraînés » (à prononcer d’une voix empreinte de stupeur et d’effroi). Cela signifiait qu’étant donné notre supériorité technique sur le tout-venant, nous bénéficions gratuitement de deux heures d’entraînement hebdomadaire supplémentaires. C’était un peu l’équivalent tennistique de Top Gun, un endroit où étaient réunis les éléments les plus prometteurs. J’étais Maverick (bien sûr ! Qui d’autre ?) et Rodolphe était Iceman, le mec un peu froid qui est le seul à pouvoir ravir la première place au héros. Bref, on ne pouvait pas se blairer.

vendredi 14 octobre 2011

Le deuxième concert part 6 ou "Etre souple rend-il plus susceptible d'être aimé?"

-« There’s a light in my street/ Sometimes that’s where we meet »
Ma voix résonna dans la classe. Heureusement je chantais relativement aigue (nous y reviendrons en temps et en heure), aussi ne craignais-je pas d’être reconnu par qui que ce soit. Mais j’avais quand même l’impression de me retrouver intégralement nu devant mes camarades, et, étrangement, je trouvais l’expérience assez désagréable. Lorsque Madame G... arrêta la cassette, je m’attendais au pire. Je n’avais pas suffisamment d’imagination.
-C’est bourré de fautes et l’accent est exécrable. « That’s where we meeeet » », fit-elle en accentuant le « eeee » de manière humiliante « pas « zat’s ouere oui mite ».
Putain d’accent. Je savais que c’était pas mon point fort. Mais c’est lorsqu’elle s’attaqua aux erreurs lexicales que je pris particulièrement cher.
-« I think you’re lovable/ Because you’re flexible » ? Très sincèrement, je me demande ce que l’ « auteur » de cette… « chanson », a voulu dire. En l’état, cela signifie : « je pense que tu es aimable/ parce que tu es souple ».
La classe éclata de rire (ce qui donna quelque chose comme « mouahahahah souple mouahaha »). J’étais vraiment indigné sur ce coup là. J’aurais voulu taper du poing sur la table et dire comme Balzac, « j’accuse » !!! Parce que, selon le Harrap’s de mon frère, « flexible » ça pouvait aussi vouloir dire « tolérant », pas uniquement « souple ». On aurait dès lors très bien pu traduire ces deux lignes de texte par « Je pense que tu es quelqu’un d’aimable / parce que tu es ouverte d’esprit » !!! Enfin c’est ce que j’avais voulu dire.
Bref, faisons la courte, tout le texte y passa, l’humiliation était déjà quasi totale lorsque que Mme G… porta le coup de grâce.
-Bon Sabrina, je vous mets un zéro : autant pour avoir écouté de la musique en classe que pour avoir écrit un texte aussi grammaticalement révoltant. Je vous conseillerais également de travailler un peu la justesse de la voix.
J’étais face à un sacré dilemme : ne rien dire et réduire à néant mes chances avec Sabrina ; me dénoncer et passer pour une brèle aux yeux de la classe.
Je me dénonçai. Oh j’entends d’ici persifler les plus malfaisants d’entre vous. Je me donnerais le beau rôle soi-disant. Je réduis à néant ces objections en précisant que, non, bien sûr, ce n’était pas la bravoure qui m’animait mais bien plutôt la conscience de voir s’éloigner à mesure que s’égrenaient les secondes ma découverte d’une sexualité où je n’étais pas le seul intervenant.

mercredi 12 octobre 2011

Le deuxième concert part 5 ou "L'inspecteur Harry rend son badge"

Dans la salle, les tables formaient un grand U. Installé quasiment en face de ma proie, je l’observai pendant tout le début du cours d’anglais, en attendant qu’elle se décide à écouter la chanson. Au bout de quelques minutes, Sabrina plaça avec discrétion une oreillette dans l’un de ses orifices auditifs et pressa la touche
« play ».
Au début rien, aucun expression sur son visage. Puis un sourire qui me désarçonna. Je mettais mes tripes sur la table et elle, elle souriait ! Qu’est-ce qu’elle avait de si drôle cette chanson ? Peut-être que c’était l’accent qui déconnait. Ou pire : elle avait compris que je parlais d’un lampadaire. Putain mais qu’est ce qui m’avait pris ! Un lampadaire ! Qu’est-ce qu’on en avait à foutre ! J’écartai cependant cette hypothèse en me rappelant que Sabrina avait en anglais à peu près le même niveau qu’un cul de jatte en 100 mètre haies. Conclusion : c’était la musique qui la faisait sourire. J’étais dévasté : je pensais avoir composé l’équivalent pop du requiem de Mozart alors que ma chanson avait la puissance harmonique du petit bonhomme en mousse. Je croyais avoir touché le fond lorsqu’elle éclata de rire. Notre prof la regarda.
-Eh bien, Sabrina, le present perfect vous fait rire ?
-Euh…
-A moins qu’il n’y ait une autre raison ? En ce cas, nous vous serions reconnaissants de partager avec nous l’objet de votre hilarité. Nous aimons rire nous aussi, n’est-ce pas ? », demanda-t-elle en s’adressant au reste de la classe de manière purement rhétorique.
-Oui madame », fit une certaine Lila avec sur le visage le grand sourire du collabo venu dénoncer des voisins juifs au siège de la gestapo.
-Bah, non y a rien », tenta piteusement Sabrina.
-Mais dites moi, vous avez un écouteur dans l’oreille ! Voilà, tout s’explique ! Donnez-moi votre baladeur », dit-elle d’un ton ne supportant pas le concept même de contradiction.
Avec la résignation d’un lieutenant un peu atypique jetant sa plaque sur le bureau d’un commissaire qui lui reproche de n’en faire qu’à sa tête (« Le maire veut votre peau Harry ! »), Sabrina posa le walkman sur sa table et me jeta un regard désespéré. Putain ! Mon Aiwa autoreverse ! Notre prof s’en saisit et en extirpa la cassette.
-Eh bien voyons ce qui vous faisait tant rire.
-Oh oui !
-Lila, je ne vous ai rien demandé.
-Pardon madame.
La prof se dirigea alors vers l’antiquité qui tenait lieu de lecteur de cassette et y inséra « Maquette n°3 », qui comme sont nom l’indiquait clairement, était le troisième volume de mes œuvres. Le Niagara me coulait entre les épaules.

lundi 10 octobre 2011

Le deuxième concert part 4 ou "Du rôle joué par le lampadaire dans la stratégie séductionnelle"

Je passai deux ans à peaufiner dans la pénombre de ma chambre (c’est juste pour le style : j’avais un halogène comme tout le monde) mon art de songwriter. Je composai notamment une magnifique chanson en l’honneur du lampadaire qui brillait sur les bords de la nationale visible de ma fenêtre. Ça commençait par « There’s a light in my street ». Merde une rime en « eet ». Finalement, je m’en tirai avec « There’s a light in my street/sometimes that’s where we meet ». Ouais pas ouf. Mais bon on s’en foutait, de toute façon personne ne cherchait à comprendre les paroles du moment que ça rimait et qu’elles étaient chantées avec un minimum de conviction. J’enregistrai la rythmique et le chant puis plaçai par dessus un solo ressemblant étrangement à celui de « Stairway to Heaven » appris quelques semaines auparavant.
Le lendemain, je commençai les cours à dix heures. Dans le bus 171 qui m’emmenait à un rythme de gastéropode sur les lieux du crime, j’écoutai en boucle ma chanson et j’avais réellement l’impression d’être un miracle de l’évolution, une sorte de croisement parfait entre Paul McCartney (pour l’inventivité mélodique) et Phil Spector (la qualité de la production). Une fois devant la classe, je rencontrai cette fille, Sabrina, sur laquelle j’avais des vues inavouables. Comme elle ne se décidait pas à me demander ce que j’écoutais, je hochai la tête ostensiblement en simulant un intense plaisir auditif. Au bout de longues minutes, elle finit par me poser la question tant attendue :
-T’écoutes quoi ?
-Rien de spécial », fis-je. Je remarquai qu’elle allait changer de sujet aussi ajoutai-je précipitamment « Juste un truc que j’ai enregistré »
-Une chanson tu veux dire ? », me demanda-t-elle, soupçonneuse.
-Ouais, une chanson », répondis-je avec détachement.
-Je peux écouter ? »
« Enfin ! » me dis-je.
-Je sais pas. C’est pas complètement fini », minaudai-je.
-Allez, sois sympa », insista-t-elle, tombant dans le piège que je lui avais vicieusement tendu.
Sabrina et moi ça avait mal commencé. Ça faisait trois mois que je lui tournai autour et lors d’une soirée, j’avais tenté le coup un peu pourri du « Ton père est un voleur : il a pris les étoiles dans le ciel pour les mettre dans tes yeux ».
-Ton père est un voleur…
-Ah ouais ? Bah ta mère c’est une pute !, me cria-t-elle avant de quitter la salle en faisant plein de bruit avec ses talons. Quand je la revis le lundi suivant, je lui expliquai ma maladresse et sa méprise. Elle crut au début que je me moquais d’elle puis finalement se rangea à mes arguments et sembla me pardonner.
Cette chanson constituait la première tentative de rapprochement depuis cet épisode malheureux. Mais au moment où elle inséra les écouteurs dans ses oreilles (pas grandes les oreilles mais petits les écouteurs), la cloche sonna pour signifier le début de notre cours d’anglais. Elle me dit alors en me tendant le walkman :
-J’écouterai après.
Il me fallait la jouer serrée. Si je la laissais filer maintenant, il y avait peu de chances 1) qu’elle écoute ma chanson, 2) qu’elle tombe amoureuse de moi, 3) que nous ouvrions un jour un compte commun. Aussi lui rendis-je le walkman ;
-Garde le, t’auras qu’à l’écouter en cours.
-En cours ? C’est chaud quand même.
Je tentai de la convaincre qu’au contraire, il n’y avait rien de plus froid : il suffisait d’écouter avec un seul écouteur tout en dissimulant ce dernier derrière une main judicieusement placée. Elle me regarda l’air de se demander si je me foutais de sa gueule, décida que non puis, après avoir hésité un bon moment, mit le walkman dans la poche de son blouson et entra en classe.

vendredi 7 octobre 2011

Le deuxième concert part 3 ou "comment apprendre l'harmonie avec MacGyver"

Mais pourquoi Dieu m’avait-il retiré ce dont je pensais avoir le plus besoin pour le donner à mon frère qui ne l’utilisait que pour frimer devant ses potes en chantant les notes de « Money for nothing ». J’étais courroux. Cependant, lumière dans les ténèbres, j’appris qu’il était possible d’acquérir, à force d’entraînement, l’oreille relative, ce qui constituait une sorte de consolation. Mon prof (toujours pourvu de son appendice capillaire répugnant) m’expliqua la chose avec un brin de condescendance : les sous-êtres comme moi pouvaient améliorer leur oreille en s’efforçant de chanter les notes d’une mélodie au moins une heure par jour en s’accompagnant au piano. A peine rentré chez moi, je me saisis de mon livre de partition des Beatles et m’exerçai sur « Yesterday » : au lieu de chanter « Yesterday, all my troubles seemed so far away », je faisais « la-sol-sol…si-do dièse-ré dièse-mi-fa dièse-sol-fa dièse-mi-mi ». Bon ces saloperies de dièses me foutaient un peu dedans, vu que dans ce cas précis une note était censée correspondre à une syllabe. N’empêche, si je souffrais de cet exercice un peu rébarbatif, mon entourage en était la principale victime. Mes parents et mon frère en premier lieu. Ils m’entendaient en effet chanter le nom des notes de toutes les mélodies qui me tombaient sous l’oreille. Genre, quand le générique de MacGyver retentissait, je me mettais à faire « do do do do do do do si…fa la sol…do do si sol la sol fa » etc etc. Généralement, mon frère tentait de se contenir un moment puis craquait et me lançait le premier objet contendant qui traînait aux alentours. Mes camarades de classe n’étaient pas non plus épargnés par cette manie : ainsi cherchant à retrouver de tête le nom d’une note, je me mettais subitement, sans avertissement préalable, à crier « LAAAAAAAAAAA !! ».
-Putain faut que t’arrête ça », me fit Vincent une fois tout en se palpant la poitrine, cherchant vraisemblablement à réamorcer l’afflux sanguin dans le ventricule gauche.
-Quoi donc ? », répondis-je innocemment.
-Tes cris là ! Sérieux ça me stresse, on sait jamais quand ça va arriver ! Je te promets ça me bouffe ! » J’avais beau porter une amitié franche et sincère à Vincent, je me serais néanmoins entraîné de plus belle si j’avais vu que l’exercice portait ses fruits. Mais au bout d’un mois je me livrai à une sorte de test. Je me mis dos au piano, demandai à mon père de me donner une note de référence (le « laaaaaaaaaaa ») puis après un instant de jouer une note au hasard.
-Réééééé ? », tentai-je timidement ?
-Non, c’est un si », fit mon père implacable.
Me concentrant à m’en faire péter les sourcils, je demandai à mon géniteur de renouveler l’exercice.
-Sooool ?
-Ré.
-Putain ! Sa mère la p...
-Eeeeeeh !!!!!!
-Siiiii ?
Sur dix notes, pas une de bonne. Incroyable. Même en m’en remettant à l’aveugle hasard, j’aurais dû tomber au moins en trouver une ! Mais non. Je me plantais avec une régularité métronomique.
C’est ainsi la mort dans l’âme qu’un mois après avoir commencé à m’entraîner, je renonçai à l’espoir d’un jour pouvoir me la péter sur Dire Strait (« Money for nothing !!!!! »).

mercredi 5 octobre 2011

Le deuxième concert part 2 ou "Est-il rédhibitoire d'aimer Joe Satriani?"

Quand Réticulum mit un terme à son activité, je me retrouvai seul. Dans le froid. A attendre que ma mère vienne me chercher en AX. Je lui avais en effet demandé assistance pour transporter le synthé que les autres avaient, de manière incompréhensible, accepter de me céder pour la somme modique de cent francs chacun (ouais des francs). A ma génitrice qui me demandait comment j’avais obtenu la chose, je me montrai extrêmement laconique, évoquant un ami fictif qui pour d’obscures raisons m’avait laissé l’instrument en dépôt.
C’est à peu près à cette époque que je me mis à réaliser mes premiers enregistrements. Ne possédant pour tout matériel que deux lecteurs cassettes qui faisaient également office d’enregistreurs, mes productions étaient quelque peu rudimentaires : j’enregistrais guitare et chant sur un des lecteurs, puis je passai la bande et enregistrai une seconde guitare à l’aide du second lecteur et ainsi de suite… Bon à chaque étape, il y avait du souffle en plus et au final, on avait l’impression que je jouais à côté d’un sèche cheveux géant mais j’étais quand même super fier. Je me familiarisais également avec le synthétiseur. Je me disais que c’était l’occasion de mettre à profit les dix années de cours de piano hebdomadaires qui m’avaient été iniquement imposés par le parentariat. Du coup je foutais des nappes de cordes synthétiques un peu partout dans mes chansons qui les faisaient sonner comme le fruit d’un improbable croisement entre Neil Young et Kraftwerk... Bon ok, plutôt entre Yves Duteil et Vangelis.
C’est également à cette période que je commençai à développer une sorte d’obsession pour la notion d’ « oreille absolue ». Pour les novices, on dit de quelqu’un qu’il a l’oreille relative quand il est capable, lorsqu’on lui donne une note de référence, de dire le nom des autres notes d’une mélodie. L’oreille absolue, c’est le degré au-dessus : la personne qui en est pourvue n’a pas besoin de note de référence pour donner le nom des autres notes. Il y a bien sûr une troisième possibilité qui consiste à être incapable de donner le nom d’une note même lorsqu’on vous a indiqué une note de référence. On appelle ça avoir une oreille de merde. C’est mon cas.
Pour ma défense, j’exagère un peu. Il n’y a en fait pas vraiment de rapport entre le fait de savoir reconnaître le nom des notes et les qualités musicales d’un artiste. J’ai par exemple lu que Frank Black, Black Francis, enfin le leader des Pixies, n’était pas foutu de deviner le nom d’une note, même si on lui en indiquait douze autres. Il sait reproduire, en tâtonnant un peu, ce qu’il entend dans sa tête et ça lui suffit amplement. Par contre, mon prof de guitare, qui avait une queue de cheval dégueulasse et était fan de Joe Satriani, possédait l’oreille absolue. Et bien devinez qui a écrit « Where is my mind »?
Enfin il ne faut pas caricaturer non plus. Ca peut être quand même vachement pratique de pouvoir identifier comme ça, en un éclair, à quelle note on a affaire, ne serait-ce que pour pouvoir improviser avec plus de facilité. Ce qui me rendait totalement fou c’était que mon frère, qui ne faisait pas de musique possédait cette salope d’oreille absolue ! Je jouais au synthé une ligne et il chantait les notes ! Il m’expliqua un jour qu’il entendait carrément le nom des notes, genre je jouais un la, il entendait « laaaa », un si, « siiii ».
-Sérieux t’entends pas ? « Siiiiii » », faisait-il de manière extrêmement irritante.
A compter de ce jour, je le regardai différemment, un peu comme s’il m’avait dit qu’il entendait les voix de personnes défuntes (« I see dead people !!! »).

dimanche 2 octobre 2011

Le deuxième concert Part I ou « De l’importance du cor de chasse dans le rock indé »

« Reticulum endoplasmique » n’était plus. La formation avait sombré dans le non-être telle une comète disparaissant dans la nuit. Les raisons de ce triste dénouement ? A la fois nombreuses et incertaines. Etions-nous trop en avance sur notre époque avec nos structures de chansons complexes (couplet refrain couplet refrain pont refrain) ? C’est possible. Nietzsche n’a-t-il pas écrit en se touchant la moustache d’obscène manière « certains naissent posthumes » ? Le facteur humain a également joué un rôle primordial. Dit autrement, on ne pouvait plus se blairer. Bon, ok, ça n’était pas aussi simple que ça. Si j’avais dû, à l’époque, décrire les membres de Reticulum, j’aurais dit « David : bon guitariste mais ultra relou ; bassiste : pas méchant mais quel est son prénom déjà ?; Michael : très sympa, très mauvais ». Bref, des tensions apparurent, surtout entre David et moi et ça ruinait un peu l’ambiance. C’est dans un tel contexte que nous eûmes la riche idée de demander à un mec qui était en anglais au lycée de Sèvres avec moi de jouer du saxo dans le groupe. A ce jour, je me demande encore si ce n’était pas une sorte d’acte manqué. Comment expliquer sinon qu’une telle idée ait germé dans mon esprit, quand cet instrument ne m’évoquait que les solos dégueus des morceaux plein de réverb des années 80. Rajoute à ça que ce mec, Boris, c’était pas vraiment Macéo Parker. A tel point qu’un jour, je lui demandai de rendre son jeu un peu plus souple. Plus groovy.
-Plus groovy ? », me demanda-t-il en faisant preuve d’une réelle curiosité.
-Bah ouais ? Tu vois l’idée d’amener un sax dans Réticulum c’était de mélanger funk et rock indé. Et toi », j’hésitai un instant avant de dire ce que je pensais puis je me lançais « bah on dirait plus du cor de chasse.
Il ne le prit pas mal du tout. Au contraire, il abonda dans mon sens.
-Ce n’est pas faux ce que tu dis. Si tu veux tout savoir, moi ce qu’on m’a appris à jouer au conservatoire, c’est du saxophone classique. Or les œuvres majeures pour saxophone classique ont souvent été composées à l’origine pour d’autres instruments. Notamment pour le cor de chasse.
Du « saxophone classique » ? Il se foutait de ma gueule ou quoi ? Je l’observai un moment puis décidai que non, il était sérieux. Je n’avais jamais entendu parler de ça. Du saxo classique. Putain. C’était bien ma chance.
J’aurais dû immédiatement trancher dans le vif et mettre un terme à notre collaboration. Mais que voulez-vous, je suis un gentil, je n’aime pas torturer les faibles alors, imaginez, un saxophoniste classique…
En écrivant ça je me rappelle que l’effectif de Réticulum est monté un moment (pas longtemps mais quand même) à six musiciens. On avait en effet recruté sur un coup de tête un mec, Grégoire, qui jouait du clavier. Enfin, jouait : « jouait » quoi. Ce gars était blindé de thune. Il s’était pointé à sa première répète avec un synthé Roland qui avait dû coûter un bras chacun à ses parents. Moi je m’étais dit que pour les avoir convaincus de lui offrir un instrument comme ça, il devait assurer un minimum. Erreur là encore : il faisait des solos avec l’index de la main droite, ce qui 1) lui donnait l’air con, 2) limitait un peu l’étendue de son expression artistique. Bon celui là, en plus d’être mauvais, il était désagréable. Il critiquait tout et, en premier lieu, l’endroit où nous répétions. Michael habitait dans un immeuble à Sèvres et sa mère possédait un box pour garer une voiture, mais pas le véhicule qui allait avec. Du coup, on jouait là, enfin quand le gardien psychopathe ne venait pas couper le courant pour nous faire taire. Franchement c’était très bien, rien à dire, une vraie aubaine (un peu aussi la raison pour laquelle on passait sous silence les problèmes rythmiques de notre hôte). Bah au Grégoire, ça ne lui allait pas.
-Ca caille putain ! », fit-il lors de la première répète. J’avais envie de lui dire « ouais c’est le principe de l’hiver » ce qui aurait été particulièrement bien envoyé car on était en janvier. Mais bon je le laissais dire. Par contre quand il a déclaré que je chantais un peu comme une fiotte, je n’ai guère goûté l’homophobie de la réflexion. Je lui fis part de ce ressentis de manière un peu vive (je mentionnai notamment une sorte de parenté artistique le liant à Charlie Oleg) et il quitta la répétition en claquant la porte (ou plutôt en essayant de la claquer vu qu’elle s’ouvrait par le haut, ce qui rendait la chose ardue). On mit un moment à prendre conscience d’un élément majeur : ce con avait laissé son Roland dans le garage.