mercredi 30 novembre 2011

Manger un rôti en écoutant du Marc Knopfler

A cette époque, je réalisais un stage de fin d’étude dans une major du disque. J’étais au service promo d’un des labels d’U…al Ca consistait surtout à boire des cafés, fumer des clopes et mettre sous enveloppes des disques à destination des journalistes de France et de Navarro. Un jour, un grand type tout fin débarque dans mon bureau (bon ok, dans le bureau où j’occupais un tabouret, dans un coin).
-Salut mec ! Paraît que le nouveau Salif Keïta est sorti chez vous ?
Bon l’un des rôles d’un stagiaire promo, c’est de veiller sur l’armoire aux cds, bref de dissuader le plus efficacement possible les parasites de tenter de s’emparer gratuitement d’un exemplaire des productions discographiques du label. Mais ce mec avait l’air cool : il avait un tee-shirt de John Coltrane vachement beau. Après une courte hésitation, je lui lâchais le disque en question, l’album Moffou qu’est pas piqué des vers. De fil en aiguille, on s’est retrouvé à parler musique. On n’avait clairement pas les mêmes références : de son côté, c’était plus Fela que Kurt Cobain. Ou pour être plus exact, plus Tony Allen que Dave Grohl, car j’apprenais au fil de la conversation que Baptiste (tel était son nom) était batteur. L’information ne tomba pas dans l’oreille d’une personne auditivement déficitaire. Je décidai de la jouer tout en finesse. Surtout, ne pas l’effrayer.
-Et tu voudrais pas jouer dans mon groupe ?
Je le vis hésiter. Merde, j’étais allé trop vite en besogne.
-Bah chais pas faudrait que j’écoute ce que vous faites.
Aussitôt dit aussitôt fait je me précipitai vers la chaîne hifi qui trônait sur l’armoire à CD et y enfournai la dernière version en date d’Ive been near the sun sur laquelle Rodolphe avait recommencé à bosser. Pendant que Baptiste écoutait la chanson, je le regardai les yeux emplis d’espoir, tentant de deviner dans les micro-expressions de son visage la teneur du verdict à venir. La musique s’arrêta.
-Ouais franchement c’est sympa », lâcha-t-il enfin. « Sympa » généralement, ça fait partie des expressions qui, pour moi, sont rédhibitoires. Quand on écrit une chanson, on a envie de susciter une réaction à la hauteur de son enthousiasme. Pas « c’est sympa », « c’est pas mal » ou autre « c’est frais ».
Bref tout ça pour dire que normalement, j’aurais dû être courroucé par la réaction de Baptiste et inscrire son nom dans un petit carnet noir, mais étrangement, il n’en fut rien. Dans sa bouche, ça ne sonnait pas si mal que ça, presque laudatif, en tout cas pas comme s’il voulait dire « en musique d’ambiance pendant que je mange un rôti entre amis je mettrai bien ta chanson ».
Du coup, on s’est mis à jouer ensemble. Il avait un plan pour louer un studio à des prix imbattables dans un bâtiment universitaire. Les locaux étaient flambant neufs et tout aurait été parfait sans la présence d’un poteau placé judicieusement au milieu de la pièce. Autre inconvénient, la hauteur sous plafond qui rendait impossible de sauter au rythme de la grosse caisse comme les musiciens de Korn. Nous on s’en foutait, on jouait assis. Le mec qui faisait office de réceptionniste/technicien s’appelait Mickael ce qui ne l’empêchait pas d’être super sympa. Il parlait tout le temps de matos avec Rodolphe et Baptiste. Moi je hochais la tête à intervalles réguliers, en espérant qu’on ne me poserait pas trop de questions à la fin. Il était censé être bassiste aussi. Je dis censé parce qu’une fois j’arrivai un peu en avance au studio et, après l’avoir cherché un moment, je trouvai Mickael dans notre studio en train de s’exercer. Bah c’était pas joli joli. Déjà il slappait, faute de goût. En plus on avait l’impression que chacun de ses doigts menait sa propre vie sans qu’aucun principe directeur ne vienne unifier le tout. Bref c’était un vrai bordel. Je m’apprêtai à refermer la porte lorsqu’il me vit. Il posa vite fait la basse et on était tous les deux super gênés comme si je venais de le surprendre en train de chantonner sur un disque de Mark Knopfler.

lundi 28 novembre 2011

Le syndrome Griffin Dunne

-Bonjour Monsieur.
-Bonjour François ! », fit le père de Nico avec enthousiasme. Il m’aimait bien ce qui était généralement le cas des parents de mes amis qui me considéraient un peu comme l’équivalent du « gendre idéal » version camarade : j’étais poli, je n’avais pas l’air de me droguer et j’étais habillé comme un propriétaire terrien (j’avais même une montre à gousset que m’avait acheté mon père pour rigoler).
-Alors ? Abbey Road hein ? Pas vraiment votre époque ça ?
-Bah ouais mais bon c’est quand même bien quoi…
-Ah ça oui ! On peut même dire qu’on n'a pas fait grand chose de mieux depuis, non ?
-Euh, bah…
-Franchement, tu peux me donner le nom d’un seul bon groupe en activité ? », me demanda-t-il comme si j’étais personnellement responsable de la décadence artistique de notre époque.
-Quand même », tentai-je de m’opposer « y a Nirvana qu’était vraiment b…
-Nirvana ? Le drogué là ? Un bling deux blang !
J’eus de prime abord un peu de mal à comprendre l’expression. Ce qui m’aida à en saisir le sens, ce furent les gestes qui accompagnaient les paroles. Le père de Nico semblait en effet gratter les cordes d’une guitare : un bling deux blang c’était sa manière à lui de dire que la musique de Nirvana n’était pas très évoluée, comme si elle ne comptait que trois accords. Etant son hôte, j’optais pour la technique dite de la carpette et murmurait un « oui oui », comprenant ce qu’avait dû ressentir le président du conseil français lorsqu’il avait autorisé l’Allemagne hitlérienne à envahir la Tchécoslovaquie en 1938.
-bon, on s’y colle ? finit par dire Nico.
Meet Balou, labrador de 10 ans, 35 kilos, pelage jaune sable, hyperactif. Après un quart d’heure de lutte, nous parvînmes à lui mettre une laisse autour du cou. Nous sortîmes avec le monstre et nous nous dirigeâmes vers le passage piéton qui passait piétonnement à quelques mètres de la maison de Nico. L’idée c’était Rodolphe devant, Balou, moi ensuite puis Baptiste fermant la marche.
Arrivé à ce niveau du récit je me dis « merde : j’ai oublié de leur parler de Baptiste ! ». Le travail de mémoire est chose mystérieuse. En tout cas chez moi, c’est mystérieux, voire énigmatique. J’oublie des trucs essentiels genre mon adresse, mon numéro de carte bancaire, me laver. Par contre je suis capable de retrouver sans aucun problème le nom d’acteurs de films que je n’ai pas vus pour les avoir lus au détour d’un article. Ma copine appelle ça le syndrome « Griffin Dunne » depuis qu’un jour, j’ai retrouvé le nom de cet acteur qui jouait dans After Hours de Scorsese (jamais vu, paraît que c’est bien). Bon y a toujours un connard pour dire, le petit doigt en l’air et la bouche pincée, « Griffin Dunne ? Mais bien sûr je connais Griffin Dune ! » genre c’est Bruce Willis. Bref. Tout ça pour dire que j’ai oublié de parler d’un évènement essentiel : l’arrivée de Baptiste dans Folks.

mercredi 23 novembre 2011

Le chat le plus gros du monde

Ben nous regarda l’air de chercher une faille dans le raisonnement, mais il avait visiblement du mal.
-Pas con », fit-il finalement, s’avouant vaincu.
Ce ne fut pas une mince affaire, mais bon on ne transige pas avec la recherche scientifique, on était bien décidé à jeter une lumière crue sur cette aberration du règne animal.
-Bouge pas Gaetan putain !
Je mis un moment à comprendre que c’était le nom du chat.
-Tu déconnes ? Vous l’avez vraiment appelé comme ça ?!
-Bah ouais pourquoi ? T’as aussi quelque chose à dire là-dessus ?
-Non non rien » Je sentais son irritation aussi m’abstins-je de tout autre commentaire. Mais quand même. Gaetan !
Finalement, on réussit à maintenir le chat immobile suffisamment longtemps. Puis comme expliqué plus haut, pesage de Ben et soustraction. Nous n’en revînmes pas.
-15 kg !!!
-Putain mais appelle le Guiness mec !
On prit la chose très au sérieux : et si ce chat était tout simplement le plus gros chat du monde ? Du coup on tapota sur Internet.
-Nan, le record, c’est un chat qui s’appelait Jimmy et qui pesait 21,3 kg à sa mort.
-L’enculé ! » fit Rodolphe, admiratif.
On abandonna Ben en pleine observation de son chat l’air de se demander ce qu’il fallait lui donner à bouffer pour faire péter le score de Jimmy.
Nous nous retrouvions donc à notre point de départ, dépourvu d’idée et d’animal domestique. Finalement je téléphonais à mon pote Nico qui, je le savais, possédait un labrador de belle facture. Je lui expliquai le coup d’Abbey Road en lui demandant si son chien, moyennant croquettes, accepterait de jouer le rôle de Ringo.
-Aucun problème, passez quand vous voulez.
Nous le prîmes au mot et déboulâmes une heure après à la porte du petit pavillon que possédaient ses parents. Nous avions l’air de déranger et il nous le dit franchement.
-Bah t’avais dit quand on voulait ! », lui opposai-je.
-Putain mais c’est une convention !
-Une convention ?
-Bah ouais ! Comme quand on te demande si ça va. Tu vas pas répondre « Moyen ». Bon bah « quand tu veux » c’est pareil.
-Donc c’est « passe quand tu veux » mais pas vraiment en fait…
-Exact.
-Bon alors du coup on peut pas faire la photo si je comprends bien.
-Bah maintenant que vous êtes là…
Nous le remerciâmes chaudement. Il s’effaça pour nous laisser rentrer, ce que nous appréciâmes car ça caillait un peu.

dimanche 20 novembre 2011

Abbey Road : "du rapport entre obésité et crise d'angoisse chez le félidé"

J’informais Rodolphe de la nouvelle et nous fîmes youhou. Dans le mail, les mecs du magazine nous informaient qu’il fallait fournir un court texte de présentation et prendre une photo avec un animal. Un animal ?! Mais dans quel cerveau malade cette idée avait-elle germée ? Bon on n’avait pas vraiment le choix donc on commença à récurer nos méninges pour y découvrir un semblant d’idée. Tout à coup Rodolphe crût reconnaître l’une d’entre elles :
-On a qu’à faire une imitation de la photo d’Abbey Road avec un animal.
-Ah ouais, pas con. Quoi comme animal ?
On réfléchit un moment et une nouvelle fois, Rodolphe fut force de proposition.
-Je sais ! Tu vois le chat de Ben ? Peut-être qu’il nous le prêterait.
Ben c’était le surnom d’un ami qui s’appelait Thomas. Allez savoir pourquoi. Non je n’avais jamais vu son chat.
-Sérieux ? Mais c’est un truc de malade ! Il est énorme son chat ! Je veux dire littéralement énorme ! Avec un chat comme ça, on gagnerait même si notre chanson était pourrie.
On appela Ben sans lui dire de quoi il retournait, juste pour savoir si on pouvait passer chez lui. Il y consentit.
-Pas moyen les gars », nous dit-il lorsque nous lui exposâmes notre requête. Nous étions vachement déçus.
-Sérieux ? Pourquoi ? Franchement c’est un chat de compète ! » m’exclamai-je en jetant un regard plein d’envie vers l’animal qui ressemblait à un gros ballon plein de poils.
-C’est pas pour faire chier. C’est juste qu’il supporte pas de sortir. Ca lui donne des crises d’angoisse.
-Tu te fous de notre gueule ?
-Bah non, regarde.
Il ouvrit la porte et immédiatement, le chat s’en écarta en deux deux, l’air visiblement affolé. Une fois la porte refermée, l’animal resta prostré un long moment dans le coin où il s’était réfugié, tremblotant.
-Ah ouais, quand même », fis-je, songeur. « Mais qu’est-ce qui l’a mis dans cet état ? »
-Bah, j’en sais trop rien. C’est surtout les autres chats qui lui font peur j’ai l’impression.
On se gratta mentalement le menton.
-Bon ok, on oublie » fit Rodolphe. Puis après un moment de réflexion supplémentaire. « Il pèse combien ton chat ?
-J’en sais rien, il m’a pas dit…
-Sans déconner tu t’es jamais demandé ?
-Bah si, mais bon, il a beau être gros, j’arrive pas à le faire tenir tranquille sur la balance.
On se regarda avec Rodolphe en se demandant s’il déconnait, mais visiblement non.
-Putain mais Ben, t’es con ou quoi ? T’as qu’à te peser avec !

jeudi 17 novembre 2011

I' ve been near the sun II : Barry White meets Annette

Une fois que nous fûmes d’accord avec Rodolphe, s’agissait d’enregistrer la chose.
-On réenregistre tout ? », demandai-je déjà gavé à l’idée de refaire les prises de voix et de guitares.
-Nan on va pas se faire chier. On va se caler au bout de la piste et enregistrer juste la fin.
-Ok
Ok ? Plus facile à éructer qu’à mettre en pratique. En deux ans de tabagie intensive ma voix avait pas mal changé. Je n’étais pas encore Barry White mais plus vraiment Annette non plus (mais si ! Annette de « Premier baiser » ! « Fucked first » en anglais !). Du coup, lorsqu’on réécouta la première prise de chant qu’on avait enregistrée, Rodolphe me regarda.
-On est bien dans la merde », résuma-t-il avec son sens inné de la formule. « Putain mais qu’est ce qu’est arrivé à ta voix ?
-La puberté ? » tentai-je pour détendre l’atmosphère. Un peu stressé je m’apprêtais à m’allumer une cigarette.
-Tu fais quoi là ? » me demanda Rodolphe.
-Bah je me fume une clope pourqu…
-Nan c’est fini ça. Plus de clope pendant les prises de chant. Je suis sérieux. Franchement au début du morceau ça le fait carrément ta voix genre enfantine comme sur la chanson de…merde…comment il s’appelle…putain tu vois pas ? « Quand on aura vingt ans en l’an 2001… »
-Pierre Bachelet ? J’ai la voix de Pierre Bachelet ?!!!
-Mais non ! Plutôt celle d’un des gosses qui chante sur les refrains. Tu vois ce qu’est bien c’est le contraste entre la mélodie qu’est assez triste et ta voix… Alors que sur la fin du morceau tu sonnes comme une vieille pute qui se crame des gitanes maïs au kilomètre.
J’étais offusqué. Mais au fond de moi, je savais qu’il n’avait pas complètement tort. Je m’étais un peu laissé aller ces derniers temps. Pas qu’au niveau des clopes. Même question ligne, j’avais un peu déconné. Où était passé le longiligne éphèbe d’antan ? Fallait reconnaître, je ne donnais pas très faim. Vestimentairement, j’aurais aussi pu faire un effort : je mettais des pantalons en velours parce que j’avais vu un mec sur qui ça rendait bien et un gilet que je croyais ressembler à celui porté par Kurt Cobain lors de l’enregistrement de l’unplugged sur MTV. Résultat, loin de ressembler à mes modèles, j’avais l’air de Jean Rochefort.
Je tentai alors de me reprendre en main. Le premier pas fut d’arrêter de fumer. Ce fut dur. Heureusement ça ne dura pas bien longtemps. Juste ce qu’il faut pour que ma voix s’éclaircisse un peu et me laisse enregistrer la fin de la chanson. Ca prit un mois environ. On m’a ensuite dit que c’était complètement psychologique cette histoire d’éclaircissement de la voix, qu’en aussi peu de temps, rien ne pouvait avoir vraiment changé, mais bon, Rodolphe était content du résultat et moi pareil. Bon si on tendait un peu l’oreille on se rendait compte qu’on avait collé deux parties enregistrées à deux moments différents mais on espérait que ça le ferait.
Et cela le fit. Je reçus un mail des Inrocks qui m’informait qu’ils avaient le plaisir de nous compter parmi les heureux participants sélectionnés qui verraient leur titre figurer sur une de leur compil.

La chanson en question (version groupe, avec Adrien Chabal à la guitare et Baptiste Chardon à la batterie):
Listen!

mardi 15 novembre 2011

"I've been near the sun": la Genèse

Folks entama une longue traversée du désert. Rodolphe était à la fac de lettre, moi en prépa littéraire et, du fait d’emplois du temps divergents, nous ne pouvions nous réunir pour répéter qu’une fois par semaine, le samedi pour être précis. Ca ne nous empêchait pas de continuer à écrire des chansons voire même de les enregistrer. Les années passèrent. Le franc céda la place à l’euro, le mur de Berlin s’effondra, les femmes acquirent le droit de vote…
Tant et si bien qu’un beau jour de l’automne 2004 je crois, Rodolphe m’appela :
-T’as vu le concours dans les Inrocks ?
-Nope. » Ne me demandez pas pourquoi j’avais à l’époque pris l’habitude de m’exprimer en monosyllabes tout droit sortis d’un film prenant pour héros un sheriff texan mâchouillant un cure dent.
-Bon en deux mots : faut proposer une chanson, ils en sélectionnent vingt et ils font un disque qu’ils sortent avec l’un de leur numéro. Tu me suis ?
-Yeap.
-Bon après, y a un vote du public et d’un jury, il y a un gagnant qui remporte un peu de thune je crois.
-Allright ! » Deux syllabes ! Bel effort mais je sentis Rodolphe un peu irrité à l’autre bout du fil. Aussi décidai-je de recourir de traduire ma pensée en français. En vain, car le seul mot qui me vint aux lèvres fut « Cool ! ». J’entendis mon ami soupirer puis au bout d’un moment il reprit :
-Bon je me disais qu’on pouvait peut-être finir « I’ve been near the sun » et l’envoyer. T’en dis quoi ?
I’ve been near the sun c’était une chanson qu’on avait composée une voire deux années auparavant. Pourquoi ce titre ? Qui se trouvait prêt du soleil et pour quelles obscures raisons, franchement je ne m’en souviens plus. Ce que je sais par contre, c’est que j’avais découvert Nick Drake peu auparavant, en particulier l’album Pink Moon. Or quand j’avais trouvé le début de notre chanson, je m’étais dit qu’il ressemblait un peu à celui de « Things behind the sun ». J’avais hésité du coup à abandonner la chose en l’état. Mais finalement j’avais continué à bosser dessus car j’aimais vraiment le début. Quand j’avais dû pondre le texte, je m’étais dit que je pouvais faire une petite référence à la chanson de Nick (ouais Nick. Un problème ?).
Bon moi j’étais pour l’envoyer, aucun problème même si elle était déjà vieille. Mais pourquoi Rodolphe parlait-il de « finir » le morceau ? On l’avait bel et bien enregistré. On pouvait bien l’envoyer comme ça nan ?
-François, elle fait 1min20 la chanson » Il m’appelait par mon prénom pour m’attendrir.
-Et alors ? », répondis-je, inflexible « Dans le punk y a plein de chansons qui font moins que ça.
-Putain mec, y autant de rapport entre nous et le punk qu’entre chais pas…un chien et…enfin tu vois quoi.
-Nan je vois pas : un chien et quoi ?
-Putain tu fais chier !
-Mais sérieusement, pourquoi on devrait se plier au format radio genre 3 min ?
-Je sais pas… pour gagner de la thune par exemple ?
Je réfléchis un instant, puis je validais l’argument et acceptais de trouver une fin alternative à « I’ve been near the sun ».

lundi 14 novembre 2011

Pantera vs Georges Brassens ou "De l'importance du batteur en milieu hostile"

J’en étais à me demander comment ce con faisait pour évoluer dans l’espace avec ça sur les yeux quand Rodolphe me fit signe de regarder Julien. Il avait sorti de je ne sais où une petite radio qu’il gardait collé contre son oreille. Devinant que je m’apprêtais à lui faire une remarque, Julien dit d’un air mauvais « C’est bon, c’est bon, on y va », puis alla s’installer derrière la batterie, la radio toujours à la main.
Une fois prêt je regardai notre public ou plutôt les six personnes qui le constituaient. Il y avait mon frère, Sabrina et deux copines à elle et l’ingé son. Bon ok j’ai mal compté, ça fait cinq. Même les mecs de l’autre groupe étaient à l’autre bout de la péniche où le proprio avait placé une petite télé et on entendait leurs éclats de voix à chaque fois qu’une action un peu chaude avait lieu. Quand c’était le cas, Julien tendait le cou pour tenter d’apercevoir quelque chose et répétait frénétiquement « Y a quoi ? Y a quoi ? ». Et de fait on n’eut pas à attendre longtemps vu qu’on était au beau milieu de notre première chanson lorsqu’un fourbe croate nommé Suker se décida à nous en coller un bien profond en tout début de deuxième mi-temps. On entendit des hurlements de déception et Julien s’arrêta illico de jouer.
-Y a quoi ? Y a quoi ?
-But pour les croates.
Difficile d’enchaîner après ça. J’étais encore en train de me demander comment ramener Julien à la vie, lorsque d’autres exclamations se firent entendre, de joie pour le coup. Julien n’eut même pas le temps de poser sa question.
-But de Thuram !
-De Thuram ? » répéta Julien, incrédule.
-De Thuram, carrément !
Bon moi le foot, très honnêtement, je m’en battais un peu les rouleaux. Du coup c’est un peu irrité que je me retournai vers mon ami pour lui demander si il y avait éventuellement moyen de jouer une chanson en entier.
-Putain mais mec, Thuram quoi !
-Bah quoi, il est sur le terrain, normal qu’il en mette un de temps en temps nan ?
Déployant des trésors de patience, il me parla comme s’il s’adressait à un enfant un peu lent.
-Mais il est défenseur latéral droit, François !
Pour moi, ça n’était pas une raison valable. Et je le fis savoir.
-C’est pas une raison valable ! Même si il n’y a que cinq personnes dans le public…
-Quatre en fait », me corrigea Rodolphe. « l’ingé est allé regarder aussi.
-Ca change rien ! Il y a quand même quatre personnes qui se sont déplacées pour nous voir ! C’est une question de respect de continuer à jouer !
Il me semblait avoir convaincu Julien qui, malgré un manque d’entrain patent, se remit à taper sur sa batterie. Cependant lorsque dix minutes plus tard, on entendit des hurlements de joie provenir de l’avant de la péniche, il se leva sans hésitation, jeta ses baguettes à terre et se précipita vers le poste de télé. Nous ne le savions pas encore mais le second but de Thuram (un putain de défenseur latéral droit !) allait durablement marquer l’évolution artistique de Folks qui de power-trio se transforma par la force des choses en un duo guitare-basse : notre force de frappe sonore ne serait plus celle de Pantera mais bien plutôt celle de Georges Brassens sans moustache.

mercredi 9 novembre 2011

Folks sur le toit du monde: football et gastronomie indienne

Il était 19h et on commençait à avoir faim. On chercha un moment dans le quartier un restaurant pas trop cher pourvu d’une télé et on atterrit finalement à l’Everest un Indien dont le propriétaire avait l’air italien. Après avoir commandé pitance et reçu un cours accéléré sur la cuisine du rajasthan (« Tout est cuit dans un four appelé le Tandoor »), nous regardâmes en silence la spéciale coupe du monde de TF1, on apprit que NOS joueurs s’étaient entrainés une petite heure puis qu’ils avaient mangé des pâtes.
-Ouais des sucres lents, normal » fit Julien. Putain après le latin, la nutrition. Ce gars ne cesserait donc jamais de m’étonner. Le téléphone portable de Rodolphe fit vibrer la table.
-C’est Vincent, il est arrivé. Il demande où on est.
-A l’Everest.
Rodolphe répondit donc en faisant jouer son pouce surdéveloppé sur les touches du téléphone et cinq minutes après, Vincent arriva. Depuis le funeste concert de Réticulum endoplasmique, il avait troqué la raie au milieu pour une coupe plus déstructurée.
-Ca va les mecs ? Quoi de neuf ?
-Ils ont mangé des pâtes », dit Deuf en montrant de la tête nos joueurs filmés dans les vestiaires.
-Normal, sucres lents quoi.
-Ouais voilà.
Puis les joueurs entrèrent sur le terrain, accompagnés par des enfants qui étrangement me semblaient être tous blonds. Les hymnes. Puis début du match. Bon je vais la faire courte, je n’ai aucun souvenir de cette première mi-temps. La seule chose dont je suis sûr c’est qu’au bout de 45 minutes, le score était vierge. Pas un but, rien, walou, keutchi. Tout allait se décider pendant la seconde mi-temps, ou durant les prolongations. Si ça allait jusqu’aux tirs au but, on avait peut-être une chance de pouvoir les regarder après notre concert mais bon il y avait quand même de fortes chances pour que tout se décide sans nous. Le moment n’était plus aux regrets, on s’était engagé, il y avait pas à chier, nous devions donner ce concert.
-Va falloir y aller les mecs », dis-je avec douceur. Julien me regarda comme si je venais de lui demander d’abandonner son frère malade. Puis il hocha la tête en signe d’assentiment comme s’il venait de comprendre que lutter contre la mort ne servait à rien : il fallait laisser partir Kévin.
-Vincent, tu viens ?
-T’es ouf ! Je vais à l’hôtel de ville ! Y a un écran géant !
Je le regardai. Incrédulité et déception.
-T’es pas venu pour le concert ?
-Bah non ! Demi mec demi !
Ceci dit il se mit à trottiner en direction de la mairie, nous abandonnant à notre triste sort. Nous regagnâmes la péniche. Il était près de neuf heures et le soleil déclinait dans le ciel tel l’espoir dans notre cœur.
-Putain les mecs, vous auriez dû commencer y a dix minutes !
Déjà en général je n’accepte pas qu’on me parle comme ça, mais a fortiori lorsque l’agresseur porte des lunettes avec des photos de lui sur les verres.

lundi 7 novembre 2011

John Carpenter's style

Après s’être cultivé, on allait en cours et à la fin de la journée, on revenait avec Deuf et on s’y mettait. Au bout de quelques semaines on avait déjà trois quatre morceaux dont « Fnôlic ». Rodolphe qui aimait bien jouer avec son quatre pistes m’avait enregistré en train de chanter je ne sais plus quel morceau puis il avait passé la bande à l’envers. Ca donnait un truc assez marrant sur lequel il avait placé une musique bien oppressante, John Carpenter’s style. « Fnôlic » parce qu’on avait l’impression que c’est ce que je répétais sur le refrain. Comme on aimait bien le morceau on a essayé de le reproduire mais c’était compliqué, j’avais un peu l’impression de chanter en bushman.
Puis vint le jour où nous eûmes suffisamment de chansons en réserve pour pouvoir faire un petit concert. Je ne me souviens plus de la manière dont on a trouvé le plan mais on nous a finalement proposé de jouer en première partie d’un autre groupe sur une péniche amarrée dans Paris. La balle au bond. Je me rappelle bien c’était le début de l’été 98. Très précisément le 8 juillet. Pas que j’ai une mémoire de malade mais tout simplement parce que j’ai tapé dans le moteur de recherche « France Croatie 98 » et que ça m’a sorti la date. Et oui, Nous avions eu la riche idée de nous produire pour la première fois le soir de la demi-finale de coupe du Monde de football opposant notre glorieux pays à cette fière nation issue de l’ex-Yougoslavie. N’étant pas particulièrement fan de foot, j’apprenais la coexistence des deux événements, environ une semaine avant lorsque Julien menaça de faire grève.
-Putain les mecs ! La demi-finale quoi ! Je peux pas rater ça !
-Attends, on sait même pas à quelle heure on joue ! Avec un peu de chance, on aura fini pour le coup d’envoi. En plus on sera juste à côté de l’hôtel de ville. Ils vont mettre un écran géant. Je suis sûr qu’on pourra mater le match après le concert, t’inquiète pas !
J’avais tort. Lorsqu’on arriva sur place, en fin d’après-midi pour faire la balance, on apprit que nous commencerions à la deuxième mi-temps. Les mecs qui jouaient après nous et qui avaient trouvé le concert espéraient ainsi que leurs potes viendraient après la rencontre.
-Bah on va mater la première mi-temps, c’est déjà pas mal, non ? », essayais-je vainement de positiver.
-La demi quoi ! », répétait Julien sans parvenir à vraiment réaliser qu’il allait louper la moitié d’un des événements footballistiques de la décennie. Aussi, c’est un peu hébété qu’il se soumit aux exigences de l’ingé son lorsque ce dernier régla le son de la batterie.
Après notre balance on croisa les gars de l’autre groupe. Pas de souvenirs très précis ni de leur gueule, ni de leur musique. Je me souviens juste que le chanteur avait l’air d’un vainqueur et qu’il portait des lunettes de soleil avec des verres sur lesquels il avait collé des photos d’identité de sa propre personne.

vendredi 4 novembre 2011

Nirvana vs Grand orchestre du splendid : de l'importance d'un nom qui tabasse

L’ami en question, un certain Manu, avait rapporté la cassette de Heat, le film de Michael Mann où De Niro fait du De Niro, Pacino du Pacino et Val Kilmer joue comme une merde. Je m’ennuyais profondément, ayant l’impression que le but du réalisateur avait été de voir combien de balles on pouvait tirer dans le même film. Puis vint un moment atypique dans le film où De Niro se retrouve avec une femme sur le balcon d’un immeuble surplombant ce qui, dans ma mémoire, ressemble fortement à Los Angeles. Pour l’occasion Robert a rangé son flingue et écoute la fille lui raconter sa vie, quand soudain elle parle de sa famille en disant « my folks… » etc. Epiphanie ! Révélation ! Notre groupe s’appellerait Folks ! Tout collait à la perfection : je jouais de la guitare folk, nous étions des gens tout ce qu’il y avait de plus normaux (nuance que restitue bien le terme « folks » en anglais) et en plus à l’oreille ça tabassait ! Ajoutons à ça que les meilleurs groupes avaient toujours des noms tenant en un mot : les Beatles, les Pixies, Nirvana. Tandis que de l’autre côté du spectre il y avait le Grand orchestre du Splendid.
-« fucks » ?
-Mais non ! « Folks » », corrigeai-je Julien.
-« The Folks » ?
-Nan, Folks tout court.
-Moi j’aime bien », dit Rodolphe après une minute de réflexion.
-Mouais », fit Deuf, pas convaincu. « Ca manque un peu de mystère je trouve. Pourquoi pas « red blood » ?
-Red Blood ?
-Ouais Red Blood. Le « sang rouge » », ajouta Julien pour nous éclairer « Ca tape non ?
Au bout de dix minutes nous parvînmes à lui faire lâcher cette étrange idée en mettant en évidence que le sang pouvait difficilement être d’une autre couleur que rouge et que « red blood » ça sentait un peu le pléonasme. En bougonnant pour la forme, il se rangea alors à l’avis de la majorité et voilà : le groupe était, sans plus de circonvolutions, baptisé « Folks ».
Nous commençâmes à répéter d’arrache pied, enfin autant que nous le permettait une unique répétition hebdomadaire. Afin que je ne me trimballe pas la guitare au bahut toute la journée, ma mère me déposait chez Rodolphe avant les cours pour que je laisse ma guitare chez lui. Comme tous les deux on commençait une heure plus tard ce jour là, on regardait généralement un bout de catch attack.
-Lui, il s’appelle le « tremblement de terre » », m’expliqua une fois Rodolphe en désignant un mec qui avait des trapèzes surdéveloppés.
-Earthquake ?
-Nan, le tremblement de terre.
-Ouais mais il est américain non ? Du coup…
-Mec on s’en branle. Par contre ce qui est bon à savoir c’est qu’il s’entraîne avec Harold Schwarzenegger ?
-Arnold nan ?
-Ah ouais ptêtre. En tout cas ce mec c’est une vraie bête, un malade, une machine à faire souffrir l’adversaire.
-Ah ouais ?
-Ouais. Il y a un an il a volé la ceinture de la WWE à Hulk Hogan…
-Volé ?
-Ouais, volé. Il a profité d’un moment d’inattention d’Hulk pour lui fracasser une chaise sur la tête. Un truc vraiment dégueulasse vu que normalement ils ont pas le droit d’utiliser le mobilier.
- ???
-ouais, c’est la règle. C’est dur mais c’est la règle. Tiens ! Regarde la clé de bras qu’il fait à l’Undertaker !
-Le croque mort ? C’est son nom ?
-Chais pas, il est américain.

mercredi 2 novembre 2011

Version latine, chants grégoriens et balle aux prisonniers

J’étais encore sur Baudelaire à me demander si Jack Torrance allait se décider à trucider sa femme et son fils lorsque j’entendis ma mère m’appeler.
-François, c’est Julien au téléphone ! Tu le prends dans le salon ?
-Ok ! », hurlai-je de ma chambre. Pas que c’était énorme chez nous, plutôt que les portes étaient épaisses.
-Yo », fis-je finalement pour annoncer ma présence sur les ondes téléphoniques.
-Yo », me répondit Deuf.
-Ca va mec ?
-Ouais ça va. Ecoute, j’ai réfléchi pour cette histoire de groupe.
-Ah ouais ? Cool. Et t’as décidé quoi ? », demandai-je tout en sachant pertinemment ce qu’il en était. Je me sentais un peu comme un mélange de Machiavel et de Richelieu dans les trois mousquetaires.
-Bah, je me suis dit que si je me débrouillais bien, je pouvais peut-être réussir à me libérer le samedi matin. Ca serait bien le samedi matin non ?
-Parfait, carrément parfait.
-Bon bah on commence quand alors ?
-Bah faut que je voie avec Rodolphe mais samedi prochain, ça serait cool.
-Ah merde. J’ai foot samedi prochain.
Je ne répondis rien, laissant le silence exprimer ma désapprobation à ma place. Tant et si bien que, mal à l’aise, Julien en vint de lui-même à proposer une solution.
-Enfin ptêt que je pourrais dire que je me suis foulé un truc ou un autre.
-Voilà. Ca serait pas mal ça.
J’avais semé la graine du doute dans l’esprit de mon ami et ce dernier commençait à douter du charme des matchs le dimanche matin dans des stades vides aux quatre coins du 92. J’étais persuadé qu’il arrêterait bientôt toute pratique sportive et qu’il me remercierait trente kilos plus tard.
Nous avions le groupe, nous avions un squelette de chanson. Restait à trouver notre nom.
-Les imbattables ! » proposa Julien. Nous étions tous les trois réunis au café de la Mairie à Sèvres.
-Putain merde, Deuf », lui dit Rodolphe « On est pas en CM2 en train de trouver le nom de notre équipe de balle aux prisonniers là !
-Ca va c’était pour déconner !
-Ca pourrait être une expression que tout le monde comprend genre… chais pas… « carpe diem » ?
-« Carpe Diem » ? », demandai-je, incrédule.
-Bah ouais genre « profite du jour présent » quoi ! Le cercle des poètes disparus et tout…
-Excuse moi de te corriger mais ta traduction est impropre: « cueille le jour » serait plus correct. » Nous regardâmes Julien avec stupéfaction. Ce mec était fan de l’OM et latiniste ?
-Nan », repris-je après avoir digéré le flot d’information qui venait de m’assaillir. « Pas carpe Diem ». On dirait le nom d’un groupe de curé qui chante des chants…
-Grégoriens », compléta Julien qui voyait que je luttais un peu. Là encore, nous nous retournâmes vers lui.
-Questions pour un champion » fit-il, en guise d’explication.
Une fois chez moi, je me creusais la tête pour tenter de trouver un nom potable, mais rien, le néant, le vide, le grand rien…Mes parents n’étaient pas à la maison ce soir-là et on se mit en position matage de film avec mon frère et un de ses potes.