mercredi 28 septembre 2011

Le premier concert (Part3)

Une fois sous les arbres qui bordaient la route menant au tennis, Vincent me tendit une cigarette. Je m’en saisis, la portai à mes lèvres pulpeuses et l’allumai à l’aide d’un briquet qui dévoilait les charmes d’une femme en maillot de bain lorsqu’on le mettait la tête en bas. Ma conception de la classe. Je tirai une première latte et sentis la fumée me monter à la tête. Je pris l’air ténébreux, plissant légèrement les yeux.
-T’as mangé un truc ?
Vincent me sortit de mon auto-contemplation.
-Quoi ?
-T’as pas l’air bien, comme si t’avais mangé un truc qui passait pas.
-Non, non, lui répondis-je, légèrement vexé, en me mettant un post-it mental : revoir l’air ténébreux.
-Vous allez jouer « Take you by my side » ?
-Putain, lâche-moi avec cette chanson !
J’avais composé tous les morceaux de notre répertoire. Tous sauf un, écrit par David le deuxième guitariste. Et quel était celui que Vincent préférait ? Je vous le donne en mille : celui là. Il l’appelait « Take you by my side » parce que sur le refrain, contrairement au reste de la chanson, j’avais des paroles. Je disais très précisément « I’m gonna take you by my side » ce qui n’avait aucun rapport ni avec ce qui précédait, ni avec ce qui suivait, vu que le reste du temps je chantais en yaourt.
-Bah désolé, c’est clairement la meilleure, ajouta-t-il, fin diplomate.
-Va chier, lui répondis-je en toute amitié.
Il se tût un moment comme s’il avait été convaincu par la profondeur de mes arguments, tira sur sa clope puis reprit :
-Tu sais ce que c’est le problème de ton groupe ?
-Le batteur.
-Non c’est pas ça.
-C’est pas une question, c’est une affirmation. C’est le batteur le problème.
Effectivement, ça faisait un moment que je me disais qu’il faudrait peut-être à en venir à une regrettable et douloureuse extrémité… bref qu’il faudrait le lourder comme une merde. Quelques semaines auparavant, je lui avais demandé de jouer « We will rock you » pour mesurer l’ampleur du désastre. Pas compliquée pourtant la partie de batterie : Poum poum tchac, Poum poum chack et ça ad nauseam. Michael avait réussi la prouesse de déstructurer la chose et d’aboutir à une sorte de morceau jungle en moins carré.
Piqué par la curiosité, je demandai à Vincent quel était notre point faible selon lui :
-Votre problème, mec, c’est le reggae.
Là, il me prit par surprise.
-Le reggae ?
-Ouais, le reggae. Si tu regardes bien, tous les groupes qui cartonnent au lycée, c’est des groupes de reggae. Et vous, du reggae, bah vous en faites pas.
-Ca non, fis-je en frémissant légèrement.
Il me fallut reconnaître que sur ce coup là, le Vincent, il tenait quelque chose. C’est vrai que les musiciens les plus populaires dans notre école étaient invariablement des adolescents clamant fièrement leur amour de la beuh dans des chansons qui faisaient invariablement rimer, en les plaçant dans un subtil jeu d’opposition, les mots « cannabis » et « police ». Ces mecs étaient généralement politiquement très concernés. Le groupe qui marchait le plus s’appelait The Trotskis. J’avais beau ne jamais avoir entendu parler d’un groupe de reggae soviétique, la plupart des gens ne semblaient, quant à eux, pas trouver les deux notions inconciliables, tout au contraire. Bon moi je n’étais pas vraiment calé en histoire mais il y a une anecdote que j’avais retenu de mes cours, c’était celle du massacre des marins de Kronstadt et, d’après mes souvenirs, le rôle dudit Trotski n’avait pas été joli joli dans l’histoire. C’est un point de vue que j’avais entrepris de faire valoir auprès de l’un des musiciens du groupe. Il m’avait regardé comme si j’avais confessé lire « Mein Kampf » aux toilettes. Je m’étais alors promis de ne plus jamais essayer de parler avec un mec qui avait, vu de devant, une coupe de cheveux normale mais qui laissait pendre dans son dos une unique dreadlocks qui descendait tel un serpent pileux et crasseux jusqu’à ses fesses.
-Bon, on y retourne ?

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