jeudi 22 décembre 2011

Le Gambetta ou la Flèche d'or du pauvre

-Pas le samedi mec !
-Pourquoi pas le samedi ?
-Bah la veille, c’est vendredi !
-Jusqu’à là je te suis.
-Bah le vendredi, c’est la fin de la semaine !
-Ok…
-Du coup, faut fêter ça !
D’accord, donc le samedi non, le dimanche non plus et personnellement je ne me voyais pas répéter cinq heures après le taf un jour de semaine. Dans un élan d’amour inédit, j’acceptais de déplacer la répète à 15h, toujours le dimanche, c’est mon dernier mot Jean-Pierre.
Assez vite, il fallut bien s’avouer que nous n’étions pas entièrement sur la même longueur d’onde au sein du groupe. Connement nous étions quatre. Or quatre, c’est deux fois deux. Ce que je veux dire par là, c’est que deux camps s’opposaient et comme ils comptaient le même nombre de personnes, immobilisme, perte de temps et frustration s’ensuivaient. Deux gangs s’opposaient au sein de Folks comme les Crips et les Bloods à Los Angeles. Le premier constitué de Baptiste et d’Adrien était partisan d’une idéologie privilégiant le groove, la vibe et autre feeling sur l’exactitude. Le second regroupant Rodolphe et moi était adepte d’une conception de la précision qui parfois, avouons le, confinait à la rigidité. Cette opposition aurait pu, par un mouvement dialectique, déboucher sur une musique qualitativement supérieure à la somme de ses parties. Mais non. Nous nous observions les uns les autres aux quatre coins du studio, le poteau au milieu, comme quatre survivants enfermés depuis trop longtemps dans une même pièce cherchant à deviner le moment propice pour dévorer l’autre. Bon j’exagère, mais il y avait du gravier dans les roulements.
Toutefois, nous parvînmes malgré nos dissensions à mettre au point suffisamment de chansons pour donner des concerts. Nous jouâmes dans des endroits possédant des noms brillant d’originalité comme le « Café de Paris », le « café de la plage » ou « La choppe ». Un jour, notre manager de l’époque, Matthieu, un bon ami, nous trouva une date au Gambetta, rue de Bagnolet. Le jour J, je me pointai, comme à mon habitude, un peu en avance et découvris un endroit de taille plus que respectable. Revigoré par la perspective de jouer dans une salle enfin digne de ce nom, je vérifiai par acquis de conscience l’adresse que j’avais notée sur un post-it en regardant sur Mappy. Ah merde, c’était pas ça. En regardant mieux, il s’avérait que j’étais devant la Flèche d’or. Le Gambetta c’était juste à côté. Je réalisai une translation de quelques mètres, passant en trente secondes de Beverly Hills au Queens. Le Gambetta, certains disent que c’est un poème. Je dis ok mais alors un poème écrit par un dyslexique atteint de la maladie de Parkinson. Pour le dire gentiment, c’est le genre d’endroit à être construit sur un cimetière indien : des canapés défoncés, des chiottes sur la porte desquelles une feuille barrée d’un « Or service » est punaisée, et un patron au regard luciférien.
-C’est pour quoi, », me demanda-t-il comme s’il me soupçonnait de vouloir connaître sa mère bibliquement.
-C’est pour jouer. Je fais partie du groupe.
-Quel groupe ?

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