lundi 19 décembre 2011

Répéter un dimanche : un défi olfactif

-Quand ça ?, demanda Adrien, intrigué.
-Tu sais à l’anniversaire de Pedro…
-De Pedr…de Pierre tu veux dire ?
-Voilà.
-Putain, j’étais complètement bourré, j’ai dû chanter un couplet de No woman no cry et c’est tout.
-Bah, j’étais bourré aussi, mais il m’avait semblé que ça sonnait bien. » Il se mit à fredonner ce qui ressemblait vaguement aux premières paroles de la chanson : « When aïe ouimender, when oui used to fit ».
-Apparemment, tu peux chanter aussi », dis-je à Baptiste.
-Moi ? Non, non », se défendit-il. « En plus, j’arrive pas à jouer quand je chante : c’est fromage ou dessert.
-Fromage ou…
-Soit l’un soit l’autre quoi.
-Ah ok. Bon les mecs, je vais pas vous forcer à chanter. Juste, je trouve que c’est un peu con. Ca sonnerait bien parfois d’avoir d’autres lignes de voix, même des trucs pas compliqués.
Adrien et Baptiste baissèrent ostensiblement la tête. Visiblement, ça n’était pas la peine d’insister. Je proposais alors de rejouer la chanson. C’était la troisième fois que nous répétions le morceau et je remarquai qu’Adrien ne cessait de faire varier sa partie. Toutefois je ne m’inquiétai pas, mettant cela sur le compte d’un certain perfectionnisme. Finalement, nous passâmes à d’autres titres puis le voyant lumineux marqua la fin des réjouissances. Il était l’heure de se retirer. Lorsque nous laissâmes le groupe suivant entrer, l’un des musiciens fronça les narines et se permit un commentaire :
-Putain ça flaire ? Vous avez fait du poney ou quoi ?
Je m’apprêtai à lui expliquer que l’odeur était dû à une paire d’adolescents bourrés aux hormones lorsque je remarquai qu’il portait un tee-shirt du groupe Toto, aussi ne m’abaissai-je pas à me justifier.
-Bon bah c’est con que tu chantes pas mais pour ce qui est de la guitare, ça le fait », dis-je à Adrien, une fois que nous fûmes tous sortis du studio. Nous étions en train de nous fumer une cigarette dans l’atmosphère bruineuse et vespérale. « T’en dis quoi Rodolphe ?
-Bah ouais je suis d’accord. Faut juste qu’on s’entende sur les parties quoi, mais sinon, ça va le faire.
-Et toi, ça t’intéresse toujours ? », demandai-je à Adrien.
-Ouais », fit-il faisant montre d’une motivation qui faisait plaisir à voir.
-Cool. Bah on répète la semaine prochaine alors ?
Tout le monde acquiesça. Folks était un quatuor.
On s’était fixé un peu naïvement comme règle de répéter deux fois par semaine : une en semaine de deux heures (le mardi je crois) et une le dimanche de cinq heures. Cinq heures de répète : rien que de l’écrire ça me fait saigner les oreilles. C’était pas qu’on faisait du Pantera mais, parfois on s’énervait un peu. En plus jouer le dimanche, ça n’était vraisemblablement pas une riche idée. Moi ça ne me posait pas spécialement de problème vu que les soirs de week-end, je me regardais la rediffusion d’un épisode de « Faut pas rêver » avant de me coucher vers onze heures. Pour les autres la chose était plus difficile. D’après ce que je devinais à demi mot, leurs samedis soirs auraient fait passer les ferias de Pamplune pour un apéro entre quinquagénaires narcoleptiques. Du coup, se retrouver à 14h tous les dimanches en état de fonctionnement, ça leur posait visiblement problème. Vu l’odeur d’alcool qu’ils exsudaient, on aurait dit que le studio avait obtenu sa Licence IV. Je proposais de remplacer la répète du dimanche par celle du samedi mais je ne réussis qu’à susciter l’indignation.

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