Je m’emparai de ma guitare et sortis de la chambre à pas de fenec pour ne pas réveiller l’être aimé. Toujours dans la même logique, je m’exerçai sur ma chanson en bloquant les cordes avec la main droite et en murmurant les paroles comme un fidèle assidu psalmodiant son missel dans un lieu de culte. Mais le texte me posait problème. Le mantra négatif « Ça va pas passer, ça va pas passer » ne cessait de tourner dans ma tête comme si j’étais un motocycliste sur le périph’ s’interrogeant sur le bien fondé d’une stratégie consistant à doubler un trente tonnes par la droite dans un virage particulièrement serré. Bon, aux grands maux, les grands remèdes : j’allais simplifier tout ça. Après tout j’avais déjà enlevé un couplet, on n’en était plus à ça près. De toute façon, comme me l’avait fait remarquer Jean-Charles la veille quand je lui avais fait part de ma crainte de me planter : « T’inquiète, même si tu te vautres, je doute que quelqu’un dans le public connaisse suffisamment ton œuvre pour se lever en plein morceau et te dire de recommencer. ». C’était un peu vexant mais pas totalement faux vu que même mes potes semblaient ignorer l’existence de cette chanson (« Elle est sur l’album ? Ah bon. », certains osant même s’exclamer « Un album ? Première nouvelle ! »). En répétant quatre fois la même phrase, ça limitait un peu la portée sémantique de mon message mais je me sentais plus rassuré. C’est aussi légèrement soulagé que je quittai l’appartement habillé des vêtements que j’avais acheté la veille pour l’occasion.
Porte de la chapelle 8h30. J’avais bossé non loin, en bord de périphérique, quelques années auparavant et ça ne m’avait pas laissé un souvenir impérissable architecturalement parlant. Là on aurait dit la banlieue du 7ème cercle de l’enfer qui aurait été victime d’un attentat. Partout, des mecs défonçaient le sol à coup de marteau piqueur. Je demandai à un passant ce qui se tramait et il me répondit laconiquement « Travaux ». Le bruit environnant commença à me peser un peu, aussi allai-je me réfugier pour les trois-quart d’heures à venir dans l’unique rade à proximité, « Le Celtique ». Je m’installai à une table, commandai un café et plaçai sur mes oreilles mon casque audio surdimensionné qui me donnait un air de tanche. Je me dis : « François, mets un truc qui donne la pêche, qui va te mettre la rage, qui va te donner envie d’en découdre ». Bah, vous ne le croirez pas mais la seule idée qui me vint fut d’écouter « Reign in Blood », un album de Slayer que j’avais acheté sans trop savoir pourquoi quelques jours auparavant en profitant des « bonnes affaires » d’Amazon. Je n’avais jamais écouté ce groupe, je m’étais dit que c’était l’occasion. Je portai le café à mes lèvres lorsque les premières « notes » de la chanson n°1 firent vibrer mes parois crâniennes. Je me jetai sur mon lecteur pour baisser le son de manière drastique. J’en profitai pour regarder quel était le nom du morceau qui m’avait agressé de la sorte. « Angel of death ». Sympa. Je regardais le nom des autres chansons et j’avoue que les titres donnaient tous plus envie les uns que les autres : allais-je opter pour « Necrophobic », pour « Altar of Sacrifice » ou encore pour le facétieux « Postmortem » ? Finalement, après avoir shufflé entre les morceaux, je sentis l’angoisse monter et la nécessité d’opter pour quelque chose de plus, disons, modéré. Du coup je mis « Nevermind » mais, après Slayer, ça ressemblait presque à du Abba. J’enlevai mon casque en désespoir de cause et fixai mon regard pendant une bonne demi-heure sur l’écran d’une télé où défilaient les résultats du Rapido. Un moment, je regardai par terre et je remarquai que le sol était recouvert d’emballage de sucres. Un peu comme si les mecs, dégoûtés de ne pouvoir plus jeter leurs mégots indoor, se défoulaient de la sorte. Finalement, Christine arriva. Je mentis éhontément au « Pas trop stressé ? » qu’elle m’adressa puis nous nous engageâmes dans une sorte de Camel Trophy urbain pour arriver jusqu’aux studios qui se trouvent non loin loin du métro mais qui nécessitent pour y parvenir à pied de marcher sur le bord d’une bretelle d’autoroute pendant un bon moment. Ça n’était pas facile de s’y retrouver dans les allées qui serpentaient entre les bâtiments. Aussi remerciai-je intérieurement Dieu de ne pas m’avoir abandonné seul dans ce dédale, ayant naturellement le sens de l’orientation de Stevie Wonder bourré. Finalement, on arriva à une porte devant laquelle était garée moult camions. Inscrites dessus : les lettres V.I.P. Une jeune fille surveillait les entrées et nous donna un bracelet dont je mis un bon moment à comprendre le fonctionnement. Une fois que j’eus réussi à l’accrocher, je me rendis compte que j’avais vu trop large, aussi voulus-je le resserrer. C’est alors que le mec de la sécu me dit :
« On peut pas l’enlever : c’est définitif ».
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