Jean-Paul portait beau avec son tee-shirt fido-dido et son jean sans poches arrière. Il nous accueillit très chaleureusement et nous proposa un café qu’il nous servit dans des bols avec des prénoms dessus en bleu genre bretonnant. J’héritai de Cécile et buvait silencieusement en observant les lieux : on se trouvait dans une cuisine pleine de bois et de carrelage qui donnait l’impression d’être au ski.
-Vous savez ce que vous voulez comme son ?
-Bah, on a ramené des disques comme tu m’avais conseillé.
-Ah bah faites voir ça », fit-il avec enthousiasme.
Je me souviens encore des albums : il y avait « Surfer Rosa » des Pixies, « In Utero » de Nirvana (Albini en force !) et « Too many days without thinking » de Swell pour le son des guitares électro-acoustiques.
-Pixies, connais pas, Nirvana, ouh c’est bruyant ça ! et…connais pas. Bon, on va aller écouter ça dans le studio.
La profondeur de son analyse du disque de Nirvana, malgré le ton enjoué sur lequel elle avait été énoncée, me donna des sueurs. Putain, Swell, u’il ne connaisse pas, pourquoi pas. Mais les Pixies ? Je tentai de me rassurer en m’accusant de snobisme : après tout, qu’est-ce que ça pouvait bien nous foutre qu’il ne connaisse pas Frank Black tant qu’il ne nous faisait pas sonner comme…Bernard Lavilliers. On retombait toujours sur le même os.
Ce qui est sûr c’est qu’il avait un bien beau studio, la table de mix me donnait l’impression d’être plongé dans un épisode de Star Trek et il y avait deux salles séparées par une vitre d’une bonne dizaine de centimètres de largeur. Partout, des instruments, surtout des guitares. Jean-Paul saisit au vol le regard langoureux que j’adressais à une électro-acoustique Gibson.
-Une J45 ! », fit-il en se frottant les mains. « Essaye-la si tu veux.
-Ah merci, c’est super sympa.
Je saisis l’instrument, grattait un accord et dans un premier temps, j’eus l’impression d’être complètement désaccordé. Cette guitare sonnait carrément plus grave que ma Takamine. Mais après vérification, non, l’accordage était correct : c’est juste qu’à côté ma propre guitare avait l’air d’un ukulélé. J’étais à la fois en extase et dégoûté de ne posséder ce joyau.
-Elle est super belle », avouai-je la mort dans l’âme.
-Ouais. Et bien tu ne vas pas le croire » fit-il avec un air triomphal « mais c’est avec elle que Richard Gotainer a enregistré la partie de guitare acoustique du « Youki ».
-Du « youki » ?
-Bah ouais ! Tu connais pas ? Attends, j’ai le vinyl.
Sous nos yeux effarés, il sorti un disque sur la pochette duquel on voyait Gotainer de dos, cul nu, marchant dans la montagne avec un bouclier massaï sur le bras.
-C’est « La planète des singles », une compil. J’ai égaré le disque original.
Il plaça la chose sur un tourne disque et nous entendîmes alors ce texte où assonances et allitérations se mêlaient pour plonger l’âme dans un profond voyage au cœur du sens :
« Il était où le gentil ti Youki/ Où il était le gentil ti toutou ? Il était où, hein, il était où ? Où il était le gentil ti Kiki ? ». Je posais la guitare sur son support, me sentant un peu souillé. A la fin de la chanson (j’avoue que j’ai un peu décroché au bout d’un moment et que je n’ai pas vraiment compris si le Youki appartenait à « son papy » ou à « sa mamie »), Adrien posa une question qui n’était pas complètement dénuée de sens :
-Y a pas de guitare acoustique sur ce morceau, si ?
Là, il aurait mieux fait de se taire car Jean-Paul le fusilla du regard genre « on va pas être pote ».
-Pas sur la version définitive. Mais il y en avait sur les prises témoins.
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